3 cadavres sur l’autoroute d'Hammamet ?
Galant, le soleil cède sa place à la lune naissante
Discret, le vent cède sa croisière à une douce brise
Comme un marsouin dans l’eau, notre voiture glisse sur la belle autoroute d’ Hammamet-Tunis !
...Péage. Arrêt de 30 secondes pour « gesticuler et avancer ma carte vers le guichet si mal placé »
Pour me dégourdir les jambes et l’esprit, je décide de parquer ma voiture près de la garde nationale et m’aventure ainsi dans une marche « oxygénante et vivifiante ».
Soudain un corps sur trottoir
Un petit trottoir en terre battue jouxte le parking et le sépare d’une petite forêt. Là, devant moi, une grosse couverture de laine, genre « batania » beige, enveloppe et cache le corps d’un homme. Point de ficelle autour mais tout est hermétiquement fermé.
Je me frotte les yeux, recherche la Lune et lui demande d’éclairer encore plus ce spectacle.
Soudain je me ravise. Je change d’avis et fais marche arrière.
3 secondes s’écoulent en un siècle ! *Que faire ?
Aller vers le corps ? Rentrer dans la forêt ? Aller vers la garde nationale voisine ?
Non. Rien. Trois blanches et vieilles Izuzu, centenaires peut-être, et roulant par miracle, se dévoilent à mes yeux, tout en…jouxtant le corpsCadavreDuSoir.
Revenant à mes premières amours. Je retrouve l’adrénaline de mes eternels 20 ans et remercie le bon Dieu de cette nouvelle aventure sur Autoroute !
Chassez-le, il revient au galop. Le voyageur.
4e seconde. L’heure est grave car un coquin nuage vient bousculer la lune et assombrit le lugubre paysage… le choix est pénible. Foncer vers la forêt me parait adéquat…
Soudain, une voix.
5e seconde. Je fonce sur la voix et trébuche sans le voir contre le corps-cadavre et découvre avec stupeur…. Deux autres corps étalés à proximité et tous aussi bien enveloppées dans de misérables vieilles couvertures de laine rougeâtre, brunâtre et maléfique.
Mon cœur s’arrête de battre et reprend son tempo en chamade !
La lune compatissante se débrasasse de son ennemi nuageux et me lance son dard lumineux !
Oui. Oui. Trois cadavres sont bel et bien étendus sur ce trottoir du parking de l’autoroute de Hammamet
Je rebrousse chemin sur deux mètres et entend soudain un dialogue de deux fantômes :
Le premier dit au second :
« El gawri hrab !, orguèd, taffi thaou !» ou « l’étranger et parti, motus, laisses passer !»
Donc, les meurtriers sont là et sont peut-être soulagés de ne pas devoir zigouiller le Voyeur du soir…
7e seconde : Sans réfléchir je repense à tant de pays en guerre que j’ai couvert pour tous les journaux qui voulaient bien de mes petites histoires de fidèle Reporter pigiste. Du Vietnam au Laos, en passant par le 146e coup d’Etat en Bolivie avec 9 heures de prison à l’aéroport, l’Equateur où je fus épargné par la marmite des indiens Jivaros les coupeurs de tête, le plus grand carnage du siècle au Rwanda, la guerre du Kosovo et celle de la voisine Bosnie Herzegovine, où mon compagnon allemand, Hans, fut fauché en ma compagnie par une balle perdue….et 1000 et une autre aventures avec la toute dernière, du mois passé, au fin fonds de Monrovia, au Libéria, en folie meurtrière….
Gracias a la Vida !
8e seconde. Ni un, ni deux. Me voici fonçant vers les voix fantômes sans réaliser le danger, pour leur demander des comptes. Un simple Donquichotte qui brasse du vent….
9e et dernière seconde :
Ils s’approchent. Hirsutes, livides, maigrichons, pouilleux et angoissés.
Ils me toisent et semblent implorer pardon…
Le second plus petit et plus hardis, se penche sur le premier cadavre, tire violement la couverture brune…. Et laisse paraitre ce que je ne pouvais imaginer !
Un misérable quadra, oublié par les Dieux et par les hommes qui ouvre les yeux cernés et hagards et qui me dit... Waww ! Un mort qui parle :
-« Monsieur, la vie est dure ! Ne dites pas à la police que nous sommes là »
-« Mais, mais…qui êtes-vous donc et que faites vous ici cette nuit ? »
- « Nous rentrons de Libye. On nous a tout volé à la frontière et on a tout perdu. On n’a plus rien pour nous refaire et on va tenter la ville de Tunis, à l’aube. Ici, on se repose en cachette en essayant d’oublier notre noire misère »
- « Mais, vous n’avez pas essayé de demander aide et protection à la police ou même à une association ou encore à un parti politique ? »
- « Voyons ! Ici, nous sommes aussi sinistrés qu’en Libye, nous le petit peuple. On a voté Nada et on a reçu la gifle de l’oubli, la gifle de la vie. Rien. Même Dieu semble nous oublier »
- « Je vous propose de venir de suite avec moi, je vais parler aux gens du péage et vous aller dormir dans leur salle d’attente pendant 2 ou 3 heures au chaud. »
- « Non Monsieur. Merci. Non… »
Sur la pointe des pieds, je m’éclipse et me retrouve 30 mètres plus loin, face à un jeune de 1m80 qui grille nerveusement sa cigarette face à sa Fiat bleue.
Je lui raconte la chose. Il sourit et me dit :
« je ne suis pas du tout surpris, je travaille dans une boite célèbre de transport et d’hôtellerie et nous voyons chaque jour ces oubliés du régime et du Bon Dieu. »
Que c’est triste Tunis au temps des espoirs morts et de la Révolution anéantie !