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  • Entre bleu Prusse et bleu indigo...

     Je perds la tête à Chefchaouan :)

     Ceuta. (sept 2011). Il est déjà sept heures, Ceuta s’éveille et je vais rentrer (à Tanger, puis à Casa) par le chemin des écoliers, empruntant les collines de l’Atlas à la recherche du Sidi Bou Saïd des montagnes marocaines, du village suspendu de Chefchaouen.

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      Point de bus et point de taxis à la frontière de Ceuta

    C’est un jour férié religieux, la fête de l’Aïd et tout le monde semble rester en famille. Je n’ai plus qu’à reprendre mon plus vieux métier (du monde)… l’auto-stop. La 72e ou peut-être 80e voiture daigne enfin s’arrêter pour me déposer deux kilomètres plus loin à l’arrêt de bus ou de taxi pour la ville de Tetouan, à mi-chemin de Chefchaouen. 120 minutes d’attente d’un éventuel bus ou d’un hypothétique taxi pour me re-décider à reprendre mon stop. Echec et mat. La dernière astuce du voyageur est d’aller vers une station service, là où les conducteurs sont abordables. Dix, vingt, cinquante peut-être… Le 51eme, à la barbe fournie, à la chemise blanche immaculée et au regard malicieux me prend à bord de sa voiture et me raconte sa vie de vingt ans de travail à Madrid avant de devenir agent immobilier à Ceuta. A ma question : pourquoi les cinquante autres personnes ont refusé de me prendre à bord, il me répond, un peu gêné :

     -« Vous savez, tout le monde voit que vous sortez de Ceuta avec votre baluchon bleu, et les Marocains, en ce jour d’Aïd, préfèrent éviter les passeurs de drogue. »

     Au bout d’une longue heure de route, mon honorable barbu me dépose à la gare routière de Tétouan. Le Maroc se modernise et a décidé, depuis trois ans, de refaire toutes les gares ferroviaires et terrestres du royaume. Dans cette gare, mosaïques et jets d’eau font bon ménage et invitent à repos et évasion.

     Le bus est confortable et la première place assise vous donne l’impression d’être le conducteur de l’engin. L’Atlas est vaste et les routes sinueuses. Terminus. Une petite place, ou placette comme disent les Suisses, ceinte de bancs publics et faisant face à trois taxis bleus marquera  le début de la découverte du village de Chefchaouen.

    Le chauffeur de taxi me fera changer d’avis et de programme.

    Une heure, toute une heure de contemplation en pleine campagne, face à cette cascade ronronnante formée d’une impressionnante chute d’eau au creux de l’Atlas. La foule muette et médusée contemple la danse de l’eau et semble voguer sur ces vaguelettes et gouttelettes éparses et voyageuses.

     Je m’extirpe non sans difficulté de ce nirvana, à la recherche du centre ville. Ô ! Suis-je donc à Sidi Bou Saïd, le village bleu et blanc, à l’orée de Carthage ? Oui et non. Oui par le charme et la couleur ressemblante, et non par cette différence, et de poids, de l’histoire. 

    Imaginez-vous moult ruelles de deux mètres de large

     Sinueuses et généreuses, se frayant un chemin dans les gorges d’une colline où sont perchées et accrochées des centaines de petites maisons non pas bleues et blanches, mais bleu sur bleu. Ma maladie de voyageur reprend le dessus. J’ai envie. Envie de pénétrer… Le for intérieur voluptueux, mystérieux, avenant et… énigmatique d’une… de ces maisons. Ni une ni deux, me voici arpentant des escaliers chaulés de bleu marine qui, au bout de quinze marches, aboutissent devant une maison au bas habillée de bleu ciel ou bleu cobalt et au haut parée de bleu de Prusse. Point de sonnette, mais une lourde main de Fatma de bronze en guise de heurtoir. Une fois, deux fois, dix fois. Aucune réponse. Cinq gamins blondinets du haut de leurs cinq ans m’encerclent et se mettent à danser. Leurs rires vifs et joyeux me poussent à leur demander la façon de pénétrer dans cette maison fermée. Et à la plus jeune de me dire :

     « OK, je vais réveiller papa. »

      Sésame, ouvre-toi. L’hospitalité marocaine n’est pas un vain mot. Une pièce carrée de trois mètres de côté, avec trois banquettes circulaires et toute la famille venue entourer le voyageur qui vient de loin et qui voulait partager le verre de thé marocain à Chefchaouen. Une heure de bonheur dans cette famille de sept membres dont le fils ainé se convertit à la musique et au rap grâce à Facebook. Son rêve est d’aller à la conquête des planches à Tanger. Les petits gâteaux se suivent et ne se ressemblent pas. Ils paraissent tous reprendre l’histoire de ce village béni et oublié des dieux.

     Encaissée entre deux montagnes, à 620m d’altitude Chefchaouen est ainsi une insolite cité de 37 000 habitants aux maisons chaulées de bleu foncé et de bleu clair. Bleu sur bleu !

     Un charme puissant que l’on ressent intensément sur la place Outa-el-Hammam dans la médina pavée de galets. Assis à la terrasse d’un café, vous pouvez profiter de la belle vue sur la grande mosquée Tarik-Ben-Ziad dont le minaret octogonal est inspiré de celui de la Torre de Oro à Séville. Cette architecture andalouse se retrouve dans la Kasbah et ses jardins, au cœur de la médina. Ses murailles et ses onze tours crénelées, dont une servait de donjon, abritent un intéressant musée ethnographique. Les habitants ont la vie dure, aussi, les résidents appellent souvent Chefchaouen par son nom d'origine « Chaouen », qui signifie "sommets", en référence aux montagnes du Rif qui l'encerclent.

    Cela donnera : regardes les sommets ou Chouf Chaouan ! 

     Sous l'occupation espagnole, l'orthographe fut transformée en Xauen, avant que le nom Chefchaouen ("regarde les pics") soit adopté en 1975.

    Fondée en 1471 par Moulay Ali ben Rachid, comme base des tribus berbères du Rif, pour lancer les attaques contre les Portugais de Ceuta, Chefchaouen prit son essor à l'arrivée des réfugiés musulmans et juifs fuyant Grenade et les persécutions, après 1494.

     Ils bâtirent des maisons blanches à la chaux

      qui donnent au bourg son allure espagnole, avec leurs minuscules balcons, leurs toits de tuiles et leurs patios, au milieu desquels pousse généralement un citronnier.

    Le bleu pâle recouvrant les habitations, si typique aujourd'hui, fut introduit dans les années 1930 par la population juive. Cette couche devait remplacer le vert des fenêtres et des portes, couleur traditionnelle de l'Islam.

    La petite ville vécut recluse jusqu'à son occupation par les espagnols en 1920. Auparavant, les chrétiens étaient interdits d'accès, sous peine de mort. Deux d'entre eux réussirent toutefois à pénétrer dans le bourg : l'explorateur et religieux français Charles de Foucauld en 1883 et, cinq ans plus tard, le journaliste et voyageur Walter Harris (déguisé en juif).

     A leur arrivée, les Espagnols furent surpris d'entendre les habitants juifs parler une variante du castillan médiéval. Ils furent un temps chassés de Chefchaouen par Abd el-Karim, durant la rébellion rifaine des années 1920, puis y revinrent jusqu'à l'indépendance, en 1956.

     En plus du tissage, Chefchaouen est réputée pour sa vannerie et ses poteries. Poterie de Ghzaoua, et berradas (cruches à eau) ou une simple goulla (jarre). La visite des agadirs ou greniers collectifs fortifiés de la région s’impose également. Enfin, pas question de quitter la ville sans avoir goûté à son fromage blanc de chèvre des montagnes. C’est peut-être le meilleur du Maroc.

     Bercé de bleu, rêvant en bleu et tout bleu je m'extirpe de ce village de l'Atlas, pour reprendre la route de Tanger, puis de Casa, espérant rattraper mon vol sur Bangui, en République centrafricaine, pour découvrir - j'espère- les Pygmées oubliés et les singes au dos argentés... peu protégés!

     Vaya con Dios :)