CHOKRY VERY FAST
Je rebrousse chemin …j’allais dire « la queue entre les jambes et la tête basse » et quitte ce malheureux réparateur-du-dimanche à El Mourouj .
Le lendemain matin, je m’aventure vers la Cité Ezzouhour face à l’office de l’huile.
Oh ! Miraculu ! Miraculus !
Me voici trimballé entre New York et Sydney chez « Chokry Very-Fast ». La réparation ne durera que 30 minutes mais l’entretien sera des plus savoureux. Un voyage dans l’espace et dans le temps ! Je vous y invite.
Chokry avait 18 ans. Soudeur, il travaillait un jour sur deux et vivotait ainsi tout en rêvant de son origine turque et de sa lointaine ville de Nabeul qu’il avait quittée pour chercher du travail à Tunis.
Le destin façonne souvent nos vies et Bouddha y veille jalousement !
Un soir, invité chez sa jeune tante, fausse blonde, il fait la connaissance d’un autre invité, un monsieur filiforme de 35 ans, vivant en Australie. Le monde bascule, l’espoir émerge et le rêve flotte dans cette courette modeste et conviviale de la jeune tante surnommée déjà
« Sésame ouvre- toi ».
La nuit de Chokry fut torride à double titre. Non, ce n’était pas d’Adriana Karambeu dont il rêva sensuellement. Mais, le « torride » fut pour lui une canicule de 40°C dans une pièce mal aérée et la « folle envie » d’aller lui aussi en Australie. La Torride envie de l’escapade !
Mais que peut faire un jeune ouvrier au chômage un jour sur deux, désargenté et vivant de surcroît dans un modeste univers de 6m2 à peine ?
Un an passa. Un an de torture. Une année d’espoir. Un an de préparatifs tout azimut pour quitter ses 6m2, son bled, sa famille et sa Tunisie.
Il réussit enfin à acheter un billet d’avion Tunis/ New York et à se procurer facilement un visa pour l’Oncle Sam !
Cette première escale vers l’aventure, vers l’Australie rêvée dura 8 ans.
La destinée en a voulut ainsi. Il trouva à New York, un job chez un carrossier, puis dans un grand garage de voitures de location et devint « Mister Chokri », l’homme qui trouve la voiture adéquate au bon client. Il était si rapide qu’il acquit facilement le surnom de Speedy-Chokri ou Chokry-very-fast.
Un jour, à la fin d’une soirée royalement arrosée, il décida de tout balancer et d’aller acheter illico presto un billet d’avion pour Sydney, en Australie.
Son permis de résidence américain lui octroya facilement un visa pour l’Eldorado du Pacifique Sud, son île souhaitée et convoitée depuis plus de 10 ans.
Il est midi. Les yeux écarquillés, le nez au vent et l’oreille aux aguets, il scrute cette foule bigarrée qu’il découvre à l’aéroport de Sydney. Le Speedy Chokry trouvera en quelques heures, en plein centre ville, un petit hôtel à 20 dollars la nuit.
Il se pince une fois. Deux fois. Trois fois. Il expire et il respire. Il ne fera pas le signe de la croix et il n’appellera ni Moïse ni Mahomet pour l’aider. Il croit en sa bonne étoile. Il respire profondément, lentement, entre en apnée et ouvre langoureusement son vieux portefeuille de cuir noir. Une feuille jaunie, un talisman d’un autre siècle, fait son apparition comme surgit de la lampe d’Aladin. : Un nom et un téléphone. Son contact, l’ami de sa tante. Il saute sur un téléphone, le cœur battant la chamade et le visage blafard. Le téléphone, hélas sonnera trois fois et fera comme le facteur ne repassera pas.
Têtu, obstiné et courageux, il recompose le numéro de téléphone.
Une heure plus tard, des embrassades et de bonnes bières australiennes qui s’entrechoquent à la santé des retrouvés. L’hôte était si bouleversé par son invité-surprise qu’il le prit en charge et lui trouva un boulot le lendemain même dans le garage du coin.
Une année d’errance et d’aventure entre Melbourne, Perth et Sydney. Une année d’une richesse sans pareille, une année de voyage et de Vavangue.
Une nuit, un rêve basculera sa vie. Sa maman serait très fatiguée et souhaiterait revoir, encore une fois, le fils prodigue, exilé au Pacifique Sud.
Un mois plus tard, le voilà déjà nouveau marié et installé dans un petit garage de 30 m2 à la Cité Ez-Zouhour de Tunis, qui portera le nom de « Chokry-very-fast ». Un label de qualité ! Un « made in Germany » local !
Son idée de génie est de réparer les pare-brises des voitures accidentées, avec une méthode américaine simple et rigoureuse. Le tout est de venir chez Chokry le lendemain d’un accident avant que les fissures n’envahissent tout l’espace visuel du conducteur.
Après une heure passée chez Chokry Very-fast, je rentre avec un pare-brise neuf et surtout riche d’un nouveau voyage parsemé non pas de pierres assassines, sur autoroute, mais d’histoires et d’aventures au bout du monde.
Voilà qu’une simple pierre dévastatrice me fait découvrir avec joie et plaisir un insolite sentier parsemé de doux cailloux bleus du Petit Poucet!
Bravo Chokry et Keep going!