ADIOS MOLDAVIA
Délicatement, Son Excellence, Ambassadeur des USA à Chisinau, me demande si je suis bien un Moldave. « Comment vous êtes de Tunis ? » s’exclame-t-il ! Il me prie fermement de le suivre en silence. Nous grimpons au premier étage, de sa résidence, jusqu’à une large porte blanche bien verrouillée. Il me regarde dans les yeux et me redemande si je suis bien de Tunis !
9e et dernière escale moldave !
Mon sourire habituel mue en une légère angoisse et la lourde porte blanche glisse délicatement sur ses gonds. L’obscurité est encore plus inquiétante. Le chant de mes amis moldave m’arrive assourdi, comme d’une autre planète. Son Excellence me plonge dans une tornade de questions et prolonge le suspens.
Soudain, plus de vingt spots lumineux brillent de tous leurs feux. Près de dix cartes de Tunisie apparaissent au grand jour. Mais que font en Moldavie, à la résidence de l’ambassadeur des USA, les cartes d’état-major de la Tunisie ?
- Vous voyez mon ami, votre pays va bientôt être attaqué par l’Algérie et la Libye et voici notre plan de défense américain : ces marques en jaune !
Devant mon ébahissement, le lieutenant-colonel esquisse un sourire et me précise : « l’attaque aura lieu le 6 avril 2004 ! » Chez les Américains il n’y a pas de temps mort, on feint une attaque militaire sur un pays et on prépare la défense sur cartes d’état-major ! C’est un peu mon dada cette carte…
Les maisons se suivent et ne se ressemblent pas. Tout le groupe sent qu’il vit un moment hors du commun, un instant béni des dieux et des hommes. Une soirée volée à la vie au sein d’une amitié dépourvue de tout intérêt. Soudain, c’est la pagaille totale. Artur, en bon chef grec, somme le chauffeur du bus de mettre le cap sur la place centrale de Chisinau. Des milliers, peut-être des dizaines de milliers de Moldaves sont rassemblés sur la gigantesque place. Couverts de zibelines et autres manteaux de fourrure, parés de grosses chapskas et de bonnets divers, ils tiennent, d’une main une bonne bouteille de champagne étiquette noire « Bessarabia », de l’autre une petite fusée qui attend les douze coups de minuit pour éclater et colorer ce beau ciel noir et bas. Toutes les églises sonnent l’angélus urbi et orbi.
La pauvreté du pays, son enclavement et le froid n’altèrent point le moral de la foule. Une seule phrase est reprise par le peuple : « La multi ani cun tate » ou Bonne année ! Cette foule en liesse, cette ville du bout du monde et notre groupe insolite resteront à jamais gravés dans ma mémoire de voyageur !
Plus de dix autres familles nous recevrons avec la même gentillesse et la bonne humeur. Moi qui rêvais de fêter le passage du Millénium dans une famille moldave, je suis réellement comblé. Dieu merci !
Chaud puis froid, le jet d’eau de ma douche arrive difficilement à me réveiller.
Il ne me reste plus que 30 minutes pour partir à l’aéroport et les effets et méfaits de cette nuit moldave résistent au puissant jet de ma douche. Ils sont venus, ils sont tous là. Certains dorment à poings fermés et d’autres refont le monde dans de profondes discussions savantes.
Le bus est plein et je repars avec le groupe d’Artur, d’Oxana et de Marina. Puissent les dieux protéger ce pays, le soustraire aux mains d’une tentaculaire administration, lui éviter d’être phagocyté par la Roumanie, de fuir les hégémonies ukrainienne et russe et de libérer sa « tête et ses pieds », le Nord et le Sud, d’une guérilla persistante.
Assis face à la fenêtre de notre bus, je sens un nouveau vertige. Ce n’est ni un roulis, ni un tangage, ni le langage, ni le rire. C’est déjà le mal du pays ! Adios Moldavia ! je reviendrai chers amis !
R.T.
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