Témoignage au nez de Ben Ali
Cette semaine nous avons vécu en direct les funérailles nobles, sobres et grandioses toutes pleines d’émotion, du Président du Ghana : John Atta Mills !
De quoi être plus triste, quand je pense au dernier voyage de Bourguiba et à ses funérailles usurpées par Ben Ali. Il fit voyager le cercueil du Président Bourguiba, dans la simple soute à bagage d’un avion Tunisair, pour éviter et fuir la demande du peuple, de transporter à dos de volontaires Bourguiba de Tunis à Monastir, de Km en Km par 164 groupes de quatre bénévoles et une UNION EMOTION DU PAYS autour de son Leader suprême. Second crime : organiser des funérailles à la sauvette c’est empêcher une bonne centaine de Chefs d’Etat de venir , en Tunisie, rendre hommage au dernier des Grands du siècle.
Malgré tout cela, il ne fallait pas rater cet événement du siècle. J’ai vite rapatrié mes trois enfants de leurs lycées et universités du monde …. En leur disant ceci :
« Nous avons tous raté les funérailles de Hannibal, Hasdrubal, Didon et Hannon par exemple ! Ne ratons pas le dernier voyage du Grand Bourguiba, assistons à ses obsèques. Je vous attendrai ce soir à l’aéroport de Tunis Carthage, l’un après l’autre… »
Mais. Mais, je ne suis pas invité à cette cérémonie fermée et presque secrète à Monastir… A moins d’être simplement dans la foule, loin du cercueil…ce 6 avril 2000 !!
La solution fut très simple et…osée : Mettre Nan en papillon au volant, imposant du haut de son mettre 94 et 22 ans. A côté du sosie de Pavarotti, un ami Cigéviste monégasque Marzio Carver et derrière avec mes deux autres jeunes enfants, j’avais le rôle de saluer militairement les flics des 23 barrages qui nous attendent !
N’ayant pas eu le temps de refaire mes plaques consulaires, j’ai rapidement composé par PHOTOSHOP un truc accroché au devant de la voiture pour…. Passer les barrages.
L’assurance du conducteur, le sérieux d’alias Pavarotti et le salut protocolaire du Consul nous ouvriront TOUS les barrages ! Au 23e barrage on nous dirige derrière la voiture du Président Chirac, parquée à l’ombre. On descend de voiture et on rejoint le président Yasser Arafat, le fils du Roi du Maroc et certes Chirac. Ben Ali est à deux mètres. Tout blanc. Tout bleu.
Des centaines de Ninjas quadrillent le cimetière de Monastir, donnent du dos à Ben Ali pour le protéger et intiment ainsi silence et peur ! Toute liesse populaire est interdite et canalisée !
De loin, à l’entrée du cimetière, je vois une dame Tunisienne qui brave la police et va se planter fièrement, en robe blanche, au centre d’un croisement, pour narguer police et sort. C’est notre première ambassadrice de Tunisie (nommée par Bourguiba à Moscou) Radhia Mestiri, Membre du CIGV.
Dans notre carré, Chirac discute avec des représentants d’Allemagne, et d’Italie et notre Pavarotti prend son téléphone et appelle sa femme à Monaco :
-« Chérie, tu ne me croiras jamais, je suis à 50 cm d’Arafat, ouiiii Arafat en personne, qui a un pistolet à la ceinture ! »
On parle avec tous ces hôtes et on nous interdit l’accès à Ben Ali….
Suit une mise en terre. Suit une profonde douleur. Suit une injustice : au même moment la télé nationale passe pendant plus de deux heures des fonds marins et des aquariums…. Point de Bourguiba et point de funérailles nationales comme celle du Président du Ghana, cette semaine ou bien avant celles du Roi Mohamed V du Maroc ou du valeureux petit Roi de Jordanie, rentré des USA au volant (ou manche à balais) de son avion. Courageusement !!!
Un grand flou dans ma mémoire ; mêlé de larmes, de honte et de tristesse !
Soudain c’est mon aîné, Kandy, qui a l’idée du siècle :
-« Allons de suite vers notre voiture ! Je vois que Ben Ali va filer en douce face à ses hôtes et à la foule ! »
Bien vrai ! Nan reprend le volant, Marzio le rôle de Pavarotti en papillon et Kandy et Zi encadrent leur Consul, dans une large et belle allemande bleue toute neuve…
Miracle. La voiture de Ben Ali avance précédée par une autre et suivie de trois autres. Nan, accélère et suit ce cortège de la mort. En silence. Tout simplement.
Aucun policier ne peut douter UNE seule seconde que nous ne sommes pas avec Ben Ali, dans cette si belle voiture où tout le monde est en costume noir et papillon. A 150 Km/h, Tunis ne sera qu’à une heure de route….
Comment oublier le double commentaire de Marzio, sur ce chemin de retour :
-« Des centaines de policiers sont sur le talus de l’autoroute et tournent du dos à la route où passe Ben Ali ! Ils font pipi ou ils traquent l’intrus ? »
- « Merde, tout ce privilège par un simple texte en Word collé à notre pare brise…. Caramba ! Quelle chance d’avoir vécu une si grande page d’Histoire ! Merci !»
Les années passent et ce petit coup de culot est une simple petite revanche à l’Histoire. Quand se le taise ou qu’on se le confesse, l’âme de Bourguiba est en nous tous et c’est peut-être le bourguibisme qui sauvera la Tunisie de son kidnapping douloureux et si dangereux !
Tahya Tounes ! Yahia Bourguiba (comme toujours) et PAIX à son âme !