Le Rotarien de Douchanbé
.Paré de tous ses feux, lucres et cotillons, le Serena hôtel de Dushambe nous reçoit avec un tapis rouge, croyant accueillir un nouveau client à 400 euros la nuit. A la réception, plutôt que de décevoir la charmante réceptionniste au beau bustier bleu, je lui demande la permission de croquer une pomme.
Une pomme dit-elle ? Oui répondis-je, en plongeant ma main …dans la corbeille jaune face à la dame, sagement exposée sur son comptoir.
Déridée, la demoiselle m’offre du coup un café et un pousse-café, se demandant ce que voulait ce futur client et sans trop réfléchir, elle prend mon bout de feuille arborant 4 numéros de téléphone et la voila qui part en bataille rangée pour trouver le PDG caché d’une grande compagnie tadjik pour ce client qui n’est pas encore client !
En dix minutes j’ai enfin mon interlocuteur au bout du fil
-« j’attendais votre téléphone mon ami, je serai dans ton hôtel dans 20 minutes, la petite salle du fond est réservée pour nous, je vous y invite ».
Waw, me voilà invité dans la pièce du fond et je m’empresse de demander à la demoiselle de la pomme rouge de m’y emmener en espérant…20 minutes… d’évasion dans cette chambre fermée.
Intelligente et coquine, elle me commande une bière Heineken, des petits gâteaux tadjik et une poignée de noix de cajou grillées à souhait, m’installe dans la chambre rose et …s’éclipse sur la pointe des pieds.
A la guerre come à la guerre. Autant attaquer la bière en attendant le président du Rotary de Douchanbe et néanmoins Président d’une Compagnie d’aluminium, première industrie du pays.
Jeune, élancé, galant et peu disert, il s’installe face à moi et me scrute comme si j’étais un petit homme vert descendu de Mars ou de Jupiter, tout en écoutant mon projet de folles découvertes tadjiks. Sans se démonter, ni m’envoyer au diable, il commence par me dire :
-« vous venez donc de Tunisie. Je connais. Pour avoir été maire adjoint de notre capitale, ville qui est toujours jumelée à une ville de Tunisie que vous connaissez peut- être ; Monastir ».
-« mais vous me dites que vous voulez aller non seulement au lac Iskandar Kul mais également au Kirghizstan voisin ! »
-« Oui cher ami, regardez l’e-mail de mon ami de l’ambassade de France à Dushambe qui précise les quatre possibilités d’entrer au pays voisin, le Kirghizstan, et les seules deux entrées ouvertes ce mois d’août 2013 vers ce pays. »
Il s’empare de l’un de ses trois téléphones cellulaires et se lance dans un dialogue nerveux avec son interlocuteur. Il pose son téléphone et me dit :
-« je viens de trouver un chauffeur et un garde du corps pour t’emmener a Iskandar Kul et à la frontière du Kirghizstan, mais sans retour. Il faudra compter 3 jours de voyage pour faire tout cela et payer chacun des deux personnes 100 euros par jour, soit 600€. Donc, me disais-je 100€ jour, deux fois le SMIC ou salaire minimum mensuel du pays.
En me voyant décliner son offre, son œil se pare de détresse et de pitié à la fois.
Je mettrai plusieurs jours pour comprendre l’angoisse et la peur de mon interlocuteur.
Au diable la chambre rose, au diable la pomme rouge, au diable le Rotary club, au diable le garde du corps et le chauffeur ! Tout cela ne sera pas à mon menu du jour : It’ s not me !
Je décide de rentrer à mon petit hôtel, (à seulement 70 euros la nuit) situé à l’autre bout de la ville en auto stop, évitant le lift proposé par mon ami rotarien et l’introuvable taxi.
Aucune voiture ne daigne s’arrêter durant 30 longues minutes. A la guerre comme à la guerre, autant reprendre mes vieilles habitudes. Il fallait s’arrêter soit au niveau d’un feu rouge ou sur une place publique où parquent souvent des voitures.
La place n’étant pas rouge, Nathalie et sans Bécaud point de Place rouge. La place respirait pourtant le cœur de l’URSS et de vieilles Lada, jeunes de 60 ans stationnaient paisiblement.
Soudain. Une BMW série 6, noire jusqu’au rétroviseur. Un corbillard ambulant tout de luxe frétillant. Soudain, une portière s’entrouvre et paraît un jeune de 20 ans au regard abstrait et délavé. Sans trop le laisser ni parler ni réfléchir, j’arrête sa descente en m’installant derechef au siège avant à ses cotés, en lui racontant que je ne retrouvais plus mon hôtel.
-« qu’à cela ne tienne, je vous y emmène mon ami ! »
Commence un voyage hors du temps vers l’autre bout de la ville, dans sa voiture à 60 mille euros, le prix d’une grande villa au Tadjikistan. Il se mit pied nu et pose son pied gauche contre le pare brise tout en le titillant nerveusement.
Petit à petit, le sieur se dévoile : c’est un des nombreux trafiquants de drogue du pays, qui n’a pour job que de transporter la drogue, de la frontière afghane à la frontière russe, en traversant son propre pays. Au premier feu rouge, il fait monter une superbe fausse blonde à l’œil en mydriase qui à cette heure du jour plane déjà dans son monde virtuel. Une cliente, une passante ou que sais- je encore ?
Je découvre ainsi, que ce pays m’offrirait la possibilité de voyager en stop avec ces jeunes dealers.
Segafredo
Apres une visite chez mes deux voisins d’hôtel, soit l’ambassadeur de France et le PD-G de l’ONG suisse qui s’occupe de la distribution des eaux dans un pays qui croule sous l’eau, je décide d’aller au Segafredo qui serait le Harry’s bar montreusien, niçois, parisien londonien du coin.
Une énorme pizzeria doublée d’un café, se terminant par un délicieux coin de glace italienne. Le tout Douchanbé s’y retrouve de 20 à 70 ans. Les prix sont faramineux et les tables toutes pleines. Je commande une bonne bière, des pommes frites croquantes et une bagatelle à croquer, tout en contemplant tout ces nouveaux visages.
C’est l’élégante et gracieuse dame en noir de la table voisine qui me subjugue. Du haut de ses 40 ans, elle tient le crachoir face à ses trois copines suspendues à ses lèvres. Les bouteilles de vin à 30 euros pièce se suivent et ne se ressemblent pas. Les plats de pâtes sentent si bon que le parfum, enveloppe ma table. En quelques secondes, elle invite le curieux étranger à sa table et lui raconte sa vie. Avocate, elle n’a même plus le temps de plaider la cause de la veuve et de l’orphelin, elle s’occupe des ses amis et de ses voyages bimensuels à Dubaï. Officier de police, son auguste mari a ouvert une société d import export à Dubaï et y réside quinze jours par mois.
Sonné par toutes ces histoires, je prends congé de cette nouvelle table ami, car mon départ est prévu le lendemain à 5h du matin, pour Khoudjand. Autre départ…