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  • Pauvre Brahim, pauvre misère. Creuse la terr', creuse le temps!

     Comment ne pas penser à Brassens, en prenant ce matin mon auto stoppeur de Hammamet à Tunis

    brahim.jpg

    Ridé, fané, délavé, rapiécé et hagard il se tient pourtant droit comme un I, sur l’autoroute qui va à Tunis ! Il ne bouge pas. Il attend que les Dieux ou les diables ou les deux à la fois fassent arrêter un véhicule à son hauteur pour le prendre à bord.

    Je freine et l’invite à monter à ma droite. En bouclant sa ceinture, il se tient à 10cm du dossier de siège, de peur de le froisser… Il est si heureux d’être enfin à bord !

    Visage taraudé, taillé dans la misère et la souffrance mais qui garde flambant neuf, un port altier et une fierté bien assise. Il parait 70 ans mais n’en a que 50 ! Moustaches noires et cheveux grisonnants camouflent un col de chemise blanche, rapiécée et usée à la corde !

    Avec, à l'âme, un grand courage,
    Il s'en allait trimer aux champs!
    Pauvre Martin, pauvre misère,

    Creuse la terr', creuse le temps!

    Son histoire hélas banale est bouleversante :

    -        «  Je viens d’un bled sinistré entre Le Kef et Kairouan et je vais aller à Grombalia voir un ami »

     -        «  Pour lui rendre visite ou pour lui emprunter de l’argent ? »

    -        «  Oui, pour lui emprunter de l’argent ! Nous fûmes collègues il y a un an. On travaillait ensemble dans un chantier de maçonnerie. Moi, je suis depuis au chômage, dans mon bled et lui a eu la chance à Grombalia de trouver un job en or, dans un Commerce de la Duchesse Mahrezia, qui va même cette semaine jusqu’à lui promettre de faire soigner sa femme en France ! Cette duchesse a en main tout le pays.»

     -        « Mais tu as l’air si fatigué, tu te fais soigner ? »

    -        Monsieur vous rêvez, comment me faire soigner au pays de Ganouchi et de la Nada ?

    Au chômage je n’ai droit à rien ! A l’hôpital on m’a dit «  bech en bayssouk », on va t’hospitaliser, mais pour cela il faut payer ou présenter une carte de soins !

    Tout le monde me refuse cette carte d’indigène, le maire et le Omda sont de la Nada, mais le délégué est nouveau et je lui ai déjà demandé audience et j’attends ! »

     -        Vous avez quoi au juste ?

    -        «  Ils m’ont dit, « une petite tumeur aux poumons » suite à mes deux paquets de cigarettes par jour. Mais il faut des examens poussés et un scanner etc. et cela  comment le faire ? Pourquoi Ben Ali, nous a-t-il abandonné ? Le pays est fichu, nous avons tous voté Nada au départ. Tout le village. Aujourd’hui, seuls 2 à 5% y croient encore ! On croyait que c’étaient des messagers de Dieu et du prophète et ce ne sont que des revanchards assoiffés qui se partagent à coup de pioche le gâteau Tunisie. L’argent est leur véritable prophète ! »

     -        Et vous souffrez physiquement ?

    Il sort de sa poche deux inhalateurs bleus d’Aérol (ex Ventoline) et un Seretide 250 et me dit :

    -        «  J’ai un ami qui travaille à la Sonède, quand je peux lui refiler 10d il se procure ces médicaments de 60d que sa société leur distribue gratuitement. Et pour trouver ces 10 dinars je vous laisse imaginer mon calvaire, pour freiner un autre calvaire respiratoire, car je peux mourir en suffoquant et personne ne pourra venir à mon secours »

     -        La solution pour toutes ces misères sociales et ce pays, Si Brahim ?

    -        «  Trouver vite un homme fort, un Sissi, un homme courageux qui prenne ce pays en main et nous ramène aux heures glorieuses de Bourguiba »

     Je ne peux cacher, ni mes larmes ni ma honte… et pense au dernier couplet de Brassens en espérant au pays un Grand Timonier qui sortira du noir, étendard blanc en main ! Rêvons !

    Quant à nous, simples citoyens, poussons les amis de nos amis à s’inscrire aux élections, car avec 4 millions de non inscrits on assurera la seconde victoire de la Piovra. Shame!

     Il creusa lui-même sa tombe

    En faisant vite, en se cachant,
    Et s'y étendit sans rien dire
    Pour ne pas déranger les gens...

    Pauvre Martin, pauvre misère,
    Dors sous la terr', dors sous le temps!