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  • Que restera-t-il des 2 600 000 touristes? (5)

    Le quartier russe de Lasnamaï

    Derniers jours en Estonie. Je ne peux oublier notre aventure avec Georges. Nerveux et énervé, notre jeune architecte cède enfin à notre demande et accepte de nous faire visiter Lasnamaï, le quartier russe de Tallinn.

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    Les taxis, dont l’appellation a fait l’unanimité planétaire, perdent curieusement en Estonie la simplicité et l’uniformité du nom pour se transformer en « Takso » ! Nous quittons les beaux parcs et les chaussées fleuries pour nous aventurer peu à peu dans une méga-cité où seul le béton a droit de citer. Notre architecte avoue que c’est la première fois de sa vie qu’il pénètre ce quartier et qu’il n’est plus du tout responsable de notre sécurité. Soudain, le monde bascule. À quelques minutes d’une capitale qui vit à l’heure de Stockholm, nous sommes dans un faubourg de St-Petersburg. De microscopiques étals vendent tour à tour gadgets de prestige, cassettes vidéo, méga-concombres et stylos à bille. Ils parlent russe et végètent ainsi sans aucun papier. Plus d’une usine désaffectée est aménagée en gîte pour ces Arméniens, Russes, Biélorusses et Azerbaïdjanais de tout poil. Que faire du tiers de la population de l’Estonie ? Le problème reste entier aux édiles du pays. En 1995, un accord d’association est signé avec l’Union Européenne, le jour même du départ des derniers conseillers militaires russes.

    Contrairement au quartier russe de Lasnamaï, le quartier de Pirita héberge 5 % de la population de Tallinn dans un cadre non pas de « Beverley Hills » mais, comme le disent si bien les Estoniens, de « Beverley Lacs ». Les maisons sont belles, spacieuses et surtout superbement fleuries. Le prix moyen est de, tenez-vous bien, un million de dollars la maison ! Chacune d’entre elles est un vrai paradis terrestre.

    Interlocuteur privilégié de l’Union Européenne parmi les pays de l’ex-URSS, l’Estonie poursuit une croissance appuyée sur la gestion rigoureuse de son économie. Avec un PNB (Produit National Brut) de 3 590 US$ par an, soit le cinquième de l’Espagne, l’Estonie affiche une croissance économique respectable de 4 %. Le secteur privé représente déjà 75 % du PNB. La dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et le fait que 33 % de la population ne possèdent pas le statut de citoyen estonien représentent une grande faiblesse pour le pays. Ce bon élève du FMI a l’avantage du voisinage finlandais et de son ouverture vers l’Europe occidentale. Le lignite est sa principale production minière. Le bois, le textile et le ciment, tout comme l’orge, la pomme de terre et la pêche, sont les principales productions de l’Estonie. La disparition annoncée cette année des free-shops en Europe est peut-être un coup mortel pour le tourisme estonien. La majorité des passagers en provenance d’Helsinki viennent uniquement pour des achats hors taxe. Le naufrage du ferry « Estonia » en septembre 1994 avec 700 disparus n’a pas freiné cet exode mercantile.

    Que restera-t-il des 2 600 000 touristes si le pays ne trouve pas une nouvelle formule semblable à l’hors taxe tout en suivant les dogmes de la communauté européenne ?

    Le bois, la pêche et le GSM sont certes les trois coqueluches de l’année. La forêt estonienne abondamment arrosée croît deux fois plus vite que la coupe industrielle. C’est ainsi que le bois est exporté à tour de bras vers le monde entier. La pêche généreuse permet à plus d’un d’avoir une vie sécurisée. Quant au GSM, ce sacré téléphone cellulaire, exporté à partir de 20 US$ l’unité, il couvre 99 % du territoire, ce qui représente un des taux les plus élevés du monde, avec quelque 170 appareils pour 1 000 habitants. La Finlande reste en tête avec 573‰. Ce soir, nous remontons le cours de l’histoire sur une inconfortable banquette monobloc en bois massif et aux nœuds saillants dans le restaurant « Olde Hansa », sur la place « Vana Turg ». Ce restaurant aux quatre menus uniques aux prix différents vous propose un repas médiéval dans une gigantesque assiette. Votre palais ira à la conquête des cités hanséatiques et dégustera des mets austères au goût nouveau. Les charmantes serveuses au tablier vert effleurant le sol ne cessent de répéter avec un joli sourire ika ika pour dire « OK » aïta pour dire « merci », et vous souhaitent un tervisex (« santé ! »), pour saluer votre bière, et un héat iso pour vous souhaiter un bon appétit. Ce que l’on mangeait bien aux siècles passés !

    De l’autre côté de la place du marché se dresse fièrement, sur ses 154 mètres, la plus haute église du Nord.

    Son clocher est si haut que les marins finlandais s’en servaient comme repère pour aborder l’Estonie. En 1930, une triste rafale détrône notre clocher qui perdit 17 mètres de sa hauteur ainsi que son record. Sur les 137 mètres restants trône sur les tuiles vertes une énorme boule de bronze de 1,14 mètre de diamètre, toute d’or vêtue. Toutes les rues et les ruelles arborent marbres et fer forgé sur chaque façade.

    En haut de la vieille ville jaillissent les cinq tours de la très belle église orthodoxe qui jouxte la vaste Maison du gouvernement. Ici, tout est mystique et évasion. Le voyage continue !

    (Fin)