Toi l’étranger
(Sierra Leone, suite et fin).Le verdict tombe. Les 3 jolies dames se retournent vers moi et me disent : « Nous avons trouvé un taxi pour aller à l’aéroport qui est près de notre maison, nous en aurons pour 10 dollars chacun ». Aussitôt dit aussitôt fait nous voilà embarqués.
J’ai beau parloter une dizaine de langues et une dizaine de dialectes mais leur langage m’est à 100% indéchiffrable. Impossible d’imaginer ce que ces trois dames complotent avec le conducteur.
Soudain un coup de frein sec, le chauffeur au visage pourtant rassurant me dit :
« Toi l’étranger tu payeras 100 dollars si tu veux que je continue ». 1, 8 km nous sépare de l’aéroport. Nous sommes à un embranchement, à gauche la maison des dames et à droite l’aéroport international de Freetown. Les filles saisissent la balle au vol et me proposent de venir chez elles pour me rafraichir puis m’accompagner à l’aéroport sans payer la nouvelle taxe.
Dilemme. La ficelle est trop grosse, si j accepte de suivre les filles, je risque de me faire plumer jusqu’ à l’os et me payer peut-être un voyage vers l’éternité.
Si je quitte le taxi pour franchir à pied ces deux petits kilomètres qui me séparent des lumières de l’aéroport que je vois, je cours aussi des risques : me faire plumer comme un coq par le premier voyou qui sortira des buissons ou me faire kidnapper comme des centaines de visiteurs les années passées.
Aucun de ces deux maux ne vaut la chandelle je dois rattraper cet avion qui me pend au nez.
Je décide donc de sacrifier les 100 dollars et les remettre au chauffeur faussement innocent.
Rapidement, la première fille, rencontrée dans le ferry, se colle tout contre moi et me susurre à l’oreille: « mes deux copines sont des salopes et le chauffeur est un bandit, j’ai peur pour toi. Je reste dans le taxi, je ne te quitte pas jusqu’à l’aéroport, il n’osera pas t’arnaquer. »
Caramba de chez caramba, il est déjà une heure du matin et là au milieu d’une jungle et dans une nuit noire profonde sans lune et avec une fille aux mille ruses et un chauffeur coriace et vorace, il faut vite prendre une décision.
Cela fait deux heures que nous avons quitté le ferry et il ne reste plus que cinq minutes de voiture pour rejoindre l’aéroport et tout semble se bloquer dans cet embranchement quasi désert.
Aucun doute n’est permis la décision est simple et rapide et à moi de lui dire : « bien sûr chère amie allons à l’aéroport et je t’inviterai à prendre une bonne bière au salon d’honneur. »
Cette dernière perspective d’un salon VIP adoucit son regard et fait baisser momentanément ma garde. Elle s’entretient à nouveau avec le chauffeur qui prend enfin la direction vers l’aéroport.
A 50 mètres de la première barrière de l’aéroport, le chauffeur s’arrête et cette fois coupe le moteur, il me dit qu’il a mauvaise conscience et qu’il veut m’inviter avec la fille dans sa case, 4 km plus loin de là et que je ne peux pas refuser.
Tiraillée entre une bière au salon d’honneur et un pot dans la case de l’oncle Tom la jolie demoiselle ne sait plus sur quel pied danser.
Elle me serre finalement contre elle et impose au conducteur de franchir la première barrière de l’aéroport.
20 minutes plus tard je subis la 4e fouille de mon baluchon par un douanier tout aussi endormi que les précédents.
Ils sont tout sourire face à la belle fille à qui ils ne demandent ni identité ni titre de voyage.
Est-elle de connivence avec le douanier et le conducteur ?
Sur qu’elle diablesse suis-je donc tomber et jusqu’ où veut- elle encore aller ?
La porte du salon est verrouillée, heureusement un lieutenant arrive. Couvant la fille des yeux, il me reluque, vérifie mes papiers et m’ouvre la porte mystérieuse du salon. Il met en marche un gros écran de télé et se couche sur une banquette pour suivre un film américain, m’abandonnant dans les griffes de cette femme si singulière.
Sacré nom de bleu, comment m’en défaire sans crier au loup ni crier au scandale ?
C’est que les choses se sont enchainées rapidement et quasi naturellement. Une arrivée tardive à la seconde île, une absence de navette pour l’aéroport et une charmante dame qui trouve vite la solution à vos ennuis.
Quadrature du cercle. J’ai également envie de ….faire comme le lieutenant et m’assoupir une petite heure avant l’embarquement sans trop réfléchir à la prochaine ruse qui m’attend peut être.
Je m’approche du lieutenant et lui demande où est le bureau du commandant.
-« première porte à gauche » me balance t- il.
Face à un jeune moustachu droit comme un i dans sa tenue étriquée, j’improvise une tirade complaisante :
« Mon commandant, je sais que vous êtes courtois et serviable en Sierra Leone et j’ai un service à vous demander. Je suis au salon VIP et je vous demanderai de bien vouloir, sans la brusquer, aider cette jeune dame qui m’a accompagné à l’aéroport, à trouver un lift pour rentrer chez elle ».
Sans trop cogiter, il prend poliment mais fermement le bras de la jeune dame pour la conduire hors de l’aéroport et me libérer de cette personne.
Elle ne montre aucun signe de surprise encore moins d’embarras à se retrouver ainsi éconduite. En effet, et je ne le saurai jamais est- elle amusée ou déçue de sa non-proie.
Ainsi va le monde
Ainsi va la vie