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  • Vouloir la Somalie...

    Daallo Airlines

    Voyage en enfer

    Hargeisa. (Janvier 2003). Comment diable aller à Mogadiscio quand on sait que la Somalie est, non seulement un pays fermé, mais surtout dirigé par une douzaine de chefs de rébellion qui tuent à tour de bras ?

    Leurs soldats ou leurs « tueurs » vous ôtent la vie pour une simple cigarette, pour un café, ou même pour une simple ration aphrodisiaque de Qat.


    8bc6b7c329062a1ad3396b87325dbbd4.jpgMogadiscio n’a ni aéroport international opérationnel, ni hôtel en fonction. Et pourtant, je veux y aller. Conjurer le sort, affronter l’impossible et envisager ce départ est déjà un stimulant sans pareil. C’est parce que c’est inutile et insensé que c’est peut-être nécessaire…


    La solution vint un soir d’elle-même, par la bouche d’un Cigéviste allemand, le professeur Hans Illy qui faisait « escale dans mon bureau ». Il passe sa vie à essayer d’inculquer des rudiments d’écologie et d’économie aux pays d’Afrique et d’Amérique latine. La clé de sésame est toute trouvée : Il faut passer par Hargeisa pour aller à Mogadiscio. Mais comment diable aller de Tunis à Hargeisa ?

    Là, commence la tourmente habituelle de tout grand voyageur qui finit par trouver le chemin des écoliers qui passera, cette fois, par Addis-Abeba la millénaire, capitale juchée à 2 500 mètres d’altitude, en Ethiopie.

    Tôt le matin, je dépose mon gros sac noir à ladite chambre forte du Hilton d’Addis- Abeba pour rejoindre l’aéroport. Cette chambre dite forte me réservera la surprise, à mon retour de Hargeisa, de me restituer un bagage transformé en parfait gruyère. Les rats de la maison auraient-ils découvert un bâton de chocolat suisse enfoui dans mon bagage ?

    Sur le tarmac de l’aéroport, un vieil Antonov 24 porte sur son flanc un nom magique : Daallo Airlines. Le voyage commence. La surprise est de taille. Je vacille entre l’inquiétude et le scepticisme, entre la surprise et la stupeur. J’ai beau me frotter les yeux mais je constate que mon siège est bien situé face à une trentaine de baluchons, de gros baluchons ficelés comme des saucissons. Nous sommes quatre passagers : trois autochtones et un paumé. Les trois habitués entament derechef, leur sieste sur un siège qu’ils basculent directement en lit de camp. Je m’incruste dans mon petit siège avant et profite des bagages pour balancer bien haut mes jambes, sans ceinture de sécurité aucune, sans tablette et sans accoudoirs.

    Commence alors un décollage hors du temps. Mais le plus curieux est ailleurs. Il est blond, grand et barbu tout autant que son vieux compagnon.

    Leurs salopettes bleues furent, sans doute, lavées l’année précédente et leur démarche est empreinte d’un air euphorique semblable à la mydriase de leur oeil. Ils sont rapidement rejoints par trois autres acolytes tout aussi blonds, tout aussi mal fagotés et tout aussi distraits. Soudain, l’un d’eux tire bruyamment un escabeau métallique qu’il jette à mes côtés, évitant de justesse de m’écraser, ferme la porte de l’avion et s’engouffre rapidement avec ses compères dans la cabine de pilotage. Inquiet, je m’extirpe de l’échelle et des bagages et entrouvre la porte de la cabine.

    Le bruit des moteurs est assourdissant, la carlingue frémit de tous ses vis, boulons et entrailles et décolle comme un vieil oiseau rompu aux usages coutumiers. La dernière heure de la machine ne sera donc pas pour aujourd’hui !

    Eperdus sur leur nuage euphorique, les pilotes, copilotes et techniciens lancent à tour de bruit des « da…da…da…da ». C’est que la compagnie aérienne Daallo Airlines est équipée de vieux avions russes de plus de trente ans, pilotés par des Russes qui ont fui pour une raison ou une autre leur Ukraine ou leur Biélorussie natales.

    Plus d’une heure de voyage dans cet insolite capharnaüm pour atterrir dans un vacarme hallucinant à l’aéroport de Hargeisa. L’échelle métallique est à nouveau sortie pour libérer enfin les passagers de l’avion.

    Elle est là, face à moi, belle dans la nudité de son regard. Farouche dans ses habits noirs. Effrayante par son kalachnikov porté à bout de bras. Je revis un instant ma guerre du Rwanda…et…

                                                                       A suivre