De Hargeisa
à Mogadiscio
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Il est déjà minuit en Somaliland, mon baluchon sur le dos, j’attends stoïquement, le cœur battant, l’arrivée maintes fois confirmée de cinq 4*4.
Le suspens me brouille l’esprit, me saisit la gorge et m’anesthésie presque sous le porche de notre hôtel. Cela fait des mois que je tente avec une équipe de Médecins Sans Frontières, de faire le voyage Hargeisa-Mogadiscio. La solution est au fait simple et logique. Ces jeunes et courageux médecins s’attaquent à un impitoyable foyer de variole, au sud de la Somalie , tout en gardant une base arrière en Somaliland. Le dernier convoi du mois précèdent a fait quatorze morts dont un médecin. C’est ce dernier que je remplace pour ce voyage qui me permettra d’accéder à la ville de Mogadiscio.
Elles sont là, belles, rutilantes, et noires. Elles démarrent, suivies de trois petits camions empruntant la seule route asphaltée du pays. La nuit est profonde, et nos 4*4 foncent tous feux éteints, vers la Somalie. Partagé entre le sommeil, l’angoisse et l’euphorie, je passe ces heures de voyage en écoutant le récit de mes trois amis médecins. Le premier est Kenyan, le second Algérien et le troisième Italien. J’espère trouver le temps un jour de raconter la saga de ces héros des temps modernes, sans qui la variole envahirait tout le continent et franchirait allègrement la Méditerranée. Il est cinq heures du matin, Mogadiscio s’éveille sans Bécaud aucun. Le contrat moral de mon transporteur bénévole s’arrête à l’entrée de cette immense bourgade. Tout cela était prévu et je dois être présent à treize heures, à l’autre bout de la ville, dans un petit aéroport clandestin, pour rentrer enfin à Hargeisa.
Les taxes sont inexistantes au pays
Cette petite journée au pays des fous mérite à elle seule tout un Astrolabe de narration. Comment expliquer la fureur, la haine, la bêtise, l’aveuglement et la hantise des parias qui dirigent cet ersatz de pays ?
Un peu plus vaste que la France et dix fois moins peuplée, la Somalie occupe la corne de l’Afrique avec une savane qui couvre 60% du pays. I
ndépendante depuis 1960, elle a vu sa constitution s’effondrer en 1991, avec un chef d’Etat désigné et 20 parlementaires, sur 245, nommés par Djibouti. Treize ans de guerre civile créent une véritable économie de contrebande en l’absence d’Etat. Les ports de Bossasso et de Berbara viennent de rouvrir et permettent à la Somalie d’exporter du bétail, des bananes, de la myrrhe et des encens, principalement vers l’Arabie Saoudite. Oublié par les grands argentiers de la planète, le pays accélère la marche de sa planche à billet et les trafiquants impriment leurs shillings somaliens en Indonésie. Les taxes étant inexistantes au pays, cela permet aux trafiquants de tous poils d’importer des produits d’Asie du Sud-est et de les revendre aux pays voisins à de bas prix.
Depuis la fermeture de l’aéroport de Mogadiscio en 1995 et en l’absence d’un service bancaire, le gouvernement crée la B.U .S. Banque Universelle de Somalie, qui vient épauler les huit « hawalas » ou sociétés de transferts de fonds.
Mais le triste « september Eleven » a gelé l’avoir de ces derniers en Amérique, W. Bush soupçonnant ces hawalas de soutenir le réseau de Ben Laden. Une première lueur pour sortir ce pays de son encerclement et étouffement vient sous la forme de petites compagnies aériennes privées qui désenclavent le pays en attendant des jours meilleurs !
Mon nouveau compagnon n’a que douze ans. Hirsute et filiforme, Ali me conduit à travers les champs de la ville. Soudain, mon pied heurte une timbale blanche décorée d’oiseaux bleus. Le sang séché sur l’anse évoque de sinistres souvenirs. Quel est l’enfant qui fut ravagé par une balle perdue ou volontaire avec sa timbale en main ? La larme à l’œil je prends délicatement cette timbale et la remplie tout au long de notre marche de plusieurs douilles perdues. Ils feront avec moi le voyage de Tunis.
La ville s’éveille.
Ça et là fleurissent de nouveaux étals de toutes sortes. Le premier marchand vend des pastèques, le second des tee-shirts, le troisième de la poudre de riz et de sorgho et le quatrième des chaussures. Mais avec Ali on avait un autre shopping en tête. Au bout de deux heures de recherches, nous tombâmes sur le bon marchand. Après un rapide conciliabule, j’achetais une liasse de dix centimètres d’épaisseur de billets de banque somaliens et enfin, pour le deal, pour le jeu, pour l’aventure, là, en pleine rue, un véritable et authentique passeport somalien. Vert et orné d’une étoile dorée, il n’attend que la photo de son nouveau propriétaire. Pour 25 US$ j’avais un nouveau document de voyage, très recherché par une certaine mafia qui arrive à obtenir ainsi un salvateur asile politique en Grande Bretagne surtout. Mon petit « Musée du Voyageur » de Tunis s’enrichira d’un nouveau trophée !
Curieux pays de Punt
« Et pourtant elle tourne » disait Galilée ! Elle fut pourtant grande et illustre, cette Somalie ou Terre de Punt, nommée Pouanit par les Egyptiens et Aromates par les Romains, Bar El Agaiéb ou Bilad Somal ou Zumal (peuple riche en bétail) par les Arabes. Quant au nom même de Somalie, il vient de « soo mal » ou « va traire » en somali, la langue du pays, en allusion à : « va traire du lait que tu offriras à tes hôtes ! » Tel était déjà le sultanat de Harrar en 1400, avant de subir l’invasion des Portugais en 1506 et le protectorat anglais en 1887. Le nord, future République de Somaliland, est occupé par les Anglais. Les Français prennent la côte qu’ils appellent Côtes françaises de Somalie et, au sud, les Italiens se chargent du Jubalaland, qui deviendra colonie en 1905.
Après la cession, par l’Angleterre, en 1948, de l’Ogaden à l’Ethiopie, l’Italie reçoit un mandat onusien de 10 ans pour administrer le pays. Indépendance de la Britsih Somalia du nord, qui fusionne alors avec Somalia italiana en 1960, pour former enfin la République de Somalie. Siyad Barré fomente son célèbre coup d’Etat en 1969, perd l’Ogaden et fait adhérer son pays à la ligue arabe. Les soviétiques prennent pied mais seront expulsés 10 ans plus tard, en 1989, aux émeutes de Mogadischio. L’évêque Mgr Salvatore Colombo est assassiné, Barré finira par fuir et le Somaliland se déclare ainsi République indépendante en 1991. Pour restaurer l’équilibre, l’ONU s’enlise et instaure « Restore hope et Provide Relief ». L’Amérique participe avec 28 150 soldats et signe avec le général Aïdid en 1992 une paix précaire. Une simple trêve qui sera suspendue, en 1995, après la perte de centaines de casques bleus. Les milices ne sont pas désarmées et la paix civile est absente !
Nous essayons de restreindre nos mouvements au centre-ville pour éviter les balles perdues et les kidnappeurs sanguinaires et hirsutes... et....voilà que...
(à suivre : Comment quitter ce pays ?)