Au pays de
Dahir Rayl Kahin
Avec le prince du Qatar…
Le voyage au Somaliland se poursuit. 3e escale.
A peine ma phrase achevée, qu’un ordre sec est donné à mon chauffeur pour passer enfin la grille du palais présidentiel …
Une petite lampe suspendue à un fil baladeur est perchée sur un fromager jouxtant un avocatier et une allée fleurie. Deux soldats m’escortent dans cette allée de bougainvillées rouges et blancs pour aboutir à une marche d’escaliers bloquée par un soldat qui dort à même le sol. L’antre du président est gardé par ses fidèles. Réveillé en sursaut, le garde entame en somali, avec mon compagnon, une palabre monotone et monocorde, celle du vieil arbre à palabres d’Afrique.
Au bout de cinq minutes d’attente, j’ai droit au chef du protocole qui me pose une seule et unique question, à savoir le nom du journal que je représente. Enfermé dans une sordide salle d’attente, je m’amuse à compter le nombre de trous des fauteuils en cuir noir, le nombre des carreaux manquants et à constater la poignée cassée de la fenêtre défoncée et l’état des murs jaunes délabrés. Soudain une tornade inattendue pousse la porte avec grand fracas. Monsieur Gees, ou Guez, ministre des Affaires étrangères de Somaliland est envoyé en éclaireur par le Président.
Il m’offre trois prospectus, me vante la république et pleure la France , l’Italie et l’Angleterre qui ne reconnaissent toujours pas son pays. Une fois « briffé » j’ai enfin droit au Président.
Je lui arrive à peine à l’épaule, je me dirige vers son fauteuil de l’autre côté du bureau pour lui offrir un petit calendrier Astrolabe. Il n’en fallait pas plus pour que l’on devienne amis et pour que, vers minuit, nous achevions le tour de la question, le Somaliland et sa propre adhésion au CIGV.. .
Nous entamons une large discussion à bâtons rompus. Confortablement installés dans un salon en cuir rouge encore recouvert de plastique, face à un tableau symbolique : une chamelle blanche avec deux jeunes Somaliennes qui viennent la traire. Il est vrai que la Somalie a le premier cheptel de dromadaires du monde, soit 6 millions de têtes. De l’autre côté du bureau, s’ouvre la Golaha wassirada ou salle du conseil des ministres, avec un Quodoba da dooda ou ordre du jour prévu pour 20h.
Fin disert et courtois le président commence par décrire le drapeau de son pays qui trône sur son bureau et poursuit avec l’histoire de sa jeune nation: « Notre drapeau national est formé de trois bandes Rouge, Blanche et Verte, avec au centre, une étoile noire surplombée d’une phrase pieuse « Il n’y a de dieu que Dieu »en lettres noires ».
Dahir Rayl Kahin, ancien professeur d’histoire à l’université de Mogadiscio, préside d’une main de fer sa république de 3,5 millions d’habitants, principalement soutenue par 2 millions de compatriotes expatriés, le véritable poumon économique du pays. Loquace, il décrit la grande Somalie qui était formée de cinq régions, sous cinq dominations différentes. Les italiens occupaient Mogadiscio, la France Djibouti , la Grande Bretagne la région de Hargeisa, l’Ethiopie la région de l’Ogaden et le Kenya la région du N.F.D..
« Nous avons pourtant obtenu l’indépendance de la Somalie le 26 juin 1960 et nous acceptâmes au Somaliland une union, quatre jours plus tard, mais les évènements n’étaient pas en notre faveur. Face à nous, aujourd’hui, vous avez un pays qui vit sans gouvernement, qui imprime son argent dans des caves isolées, qui par exemple, accorde vingt-sept concessions de téléphone portable avec pourtant un PNB par habitant de seulement 160 US$. Les Emirats voisins profitent de cette confusion pour exporter par la Somalie , à travers toute l’Afrique. Ici, nous avons l’ordre et la paix, une administration qui tourne, un multipartisme à sept voix, une presse libre et une grande tolérance. Le monde devrait s’associer à nous pour nous reconnaître, nous aider à mieux nous structurer et nous développer. Nous ne voulons plus nous associer à la Somalie. Notre rêve est l’unité de notre peuple, sa paix et sa stabilité. C’est ce message que je veux principalement adresser à la France , à la Grande Bretagne et à l’Italie. L’Ethiopie qui a perdu l’Erythrée trouve chez nous un précieux accès à la mer. »
Le Prince du Qatar
Ce soir, dernier jour de ma visite en Somaliland, je suis invité par le directeur de l’hôtel à participer à la rupture du jeun de Ramadan qui touche à sa fin.
Un autre client, entouré de trois gardes du corps et d’un compagnon à la barbe effrayante, ne pense lui ni à la rupture du jeun, ni à ses compagnons de table. C’est son ordinateur portable qui le préoccupe ardemment. Je me penche sur son écran et découvre un vol simulé d’un avion à réaction. En quelques secondes, je revois défiler dans ma tête, mon journal télévisé présentant la bande à Bader et celle à Ben Laden. Mais le profil de notre nouveau compagnon est à l’opposé des deux fauteurs en question. Une petite quarantaine, une coupe de cheveux parfaite, un costume en tweed gris et une belle cravate bleue confèrent à notre ami le titre de Prince El Thani du Qatar. Le voyage, cette magie de la vie, transformera notre dîner en périple extraterrestre. Hamed Ali décida, un jour de printemps, de prendre son petit avion privé et de faire le tour du monde en soixante jours, à l’âge de vingt trois ans. Aujourd’hui, à la tête de plusieurs compagnies aériennes basées à Dubaï, il est en visite officielle à Hargeisa pour doter le pays d’un port et d’un aéroport. Notre nouveau Cigéviste a du pain sur la planche !
Quatre dattes noires et dures, accompagnées d’un verre de lait, inaugurent notre festin d’un soir qui se résume à trois petites briques sans œuf mais farcies de viande hachée et de pomme de terre, une « assida » une sorte de crème à base de semoule blanche et de larges tranches de pastèques suivies d’un verre de thé bien fort.
Il est déjà minuit, mon baluchon sur le dos, j’attends stoïquement, le cœur battant, l’arrivée maintes fois confirmée de cinq 4*4 de Médecins Sans Frontières pour aller de nuit à Mogadiscio l’impossible … le froid est sec ! Ma main est presque moite ! Mon cœur bat la chamade ! Que va-t-il enfin se passer ? Viendra ? Ne viendra pas ?
(A suivre: Comment sortir de Somalie?)