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Rached El Greco - Page 102

  • AVENTURES DU BOUT DU MONDE (2)

    GASTON DARMON en AUSTRALIE

    Sydney.(Avril 1975). Le voyage continue. Les souvenirs fleurissent. Le périple commence !

    Rapide retour à ma ville de Cologne pour attraper un gros sac de voyage et partir sur Londres. De là commence mon plus long vol de jeune voyageur de 20 ans: Londres-Acapulco d’un seul trait, soit la traversée de l’Atlantique, du continent américain et arrivée au Pacifique, dans cette mythique ville des plongeurs insolites et des touristes fortunés…Acapulco. Puis rapidement Papeete et Bora Bora (où je fus reçu par la 3e épouse de Gauguin…pendant dix jours). La Nouvelle Zélande du bout du monde (parcourue ensuite de bout en bout en bout en autostop) et enfin Sydney.

    Déjà près d’un mois de voyage et mes pupilles sont toujours aussi dilatées, mon nez au vent et mes oreilles aux aguets ! Que de découvertes dans ce monde si lointain et captivant !

    Quand on voyage sans le sou (ou presque), quand l’Aventure est notre pain quotidien, il ne reste plus qu’à organiser son voyage et se doter de « Redoutables armes de Paix » : le sourire et les langues étrangères. Pour ce périple j’ai dû avoir recours à une troisième astuce. Baliser tout un itinéraire et le jalonner de « connaissances » ou « d’amis d’amis », soit d’amis de  mes autres amis !

    Eurêka elle tourne ! Eurêka ça marche ! Dans tout ce périple américano-océano-asiatique j’ai pu dresser toute une chaîne de contacts (un préambule de CIGV ?) à chaque escale !

    A Sydney, c’est la toute charmante Kimberley qui m’attendait et qui n’avait que huit ans de plus que moi… Jeune médecin, elle était la cousine éloignée d’un camarade de faculté à Genève…

    La soirée de retrouvailles fut splendide…

     

    Le lendemain, traînant la patte, j’ouvre enfin mon sac de voyage pour laver mon linge et découvre avec stupeur, entre une culotte et un tee-shirt…un paquet bleu froissé…un paquet de cigarettes !

    Mince ! Zut ! C’est le paquet remis à Mohamed Ferjani de Tunis, mon voyagiste, par la sœur de Gaston Darmon, que je devais rencontrer à Sydney et lui faire ainsi sentir l’odeur du pays…

    Kimberley ne comprend rien à mon histoire et refuse derechef de rechercher dans cette mégalopole de Sydney un illustre inconnu du nom de Gaston Darmon ! Internet, MSN, E-mail et Skype n’étaient pas encore de ce monde dans les années soixante-dix…

     

    J’ai attendu patiemment son retour de l’hôpital, lavé mon linge et repassé et fit tout pour la persuader de  me trouver Gaston D.

    De guerre lasse, elle commença à lancer quelques coups de fils à travers Sydney et revint subitement me dire :

    -«  T’es sur de ce nom ? » avec une rage cachée et un visage livide. Je ne reconnaissais plus ma belle blonde aux yeux verts pétillants perlés d’étoiles jaunes vibrantes et parlantes…

    -«  Voilà l’adresse de ton Gaston D. mais vas-y tout seul Grand Voyageur. Je te laisse la clef sous le paillasson si tu rentres tard. ».

    C’est que c’est la ravissante Kimberley qui m’intéressait et je devais passer encore cinq jours avec elle avant d’entreprendre plus de 4 000 kilomètres d’autostop de Sydney à Darwin en passant par Brisbane et Adélaïde…Gaston n’allait pas me gâcher ce tendre havre de paix…

    Mais né curieux, je suppliais ma nouvelle amie de m’accompagner chez ce mystérieux Gaston qui semble l’effaroucher !

    Elle refusa de m’expliquer le pourquoi de sa colère mais préféra annoncer notre visite par téléphone !

    Plus d’une heure de voiture. Le centre de Sydney est loin et le quartier huppé de Rose Bay nous attend. La nuit est fraîche, calme et légèrement envoûtante. Pas âme qui vive dans ce quartier. Soudain, les lumières sont plus fugaces et les ruelles plus étroites. Il me semble entendre le roulement de tambour du cœur de ma compagne sous son joli chemisier rose aux dentelles légères…

    Numéro 46. Stop. Une porte rouge sang et un mur noir. Le flux d’adrénaline est à son comble. On quitte notre VW pour se précipiter sur la sonnette dorée…

    Quel voyage ! En quelques secondes tout chavire ! La crainte et la peur font place aux effluves de Channel, aux paillettes de stars et à la pénombre de la luxure…

    Emu, très ému, Gaston Darmon est assis dans un large fauteuil de velours rouge, cigare planté dans sa bouche et chevalière dorée au doigt. En quelques secondes il nous pèse et soupèse, ausculte et pénètre…et décide de se lever, d’ouvrir ses bras et de nous embrasser.

    A la vue du paquet de cigarettes tunisiennes il fond en larmes comme un enfant attendri et nous invite à passer chez lui, à l’étage au dessus et à quitter ce monde feutré de « Madame Claude »  son gagne pain australien…

     

    Une soirée irréelle et pourtant bien vraie ! Un couscous maison et même de la boukha, cette eau de vie de figue qu'il doit importer de Marseille. Gaston n’a jamais quitté sa Tunisie, qu’il a pourtant quitté il y a plus de 30 ans pour faire fortune en Australie !

    Les caprices du hasard égrènent les pas du voyageur  et font de chaque rencontre un chapitre qui agrémente la vie !

     

    Si la magie du WEB, du Net, pouvait me donner des nouvelles des descendants de Gaston Darmon qui doivent être encore à Sydney, à Tel Aviv, à Paris ou à Londres...j'en serai très heureux

    Gaston est né le 16/1/1910 à Tunis (nom de mère : Fortunée) et dont la fille Linda est née le 1er avril 1958 à Sydney serait en France actuellement....

                                                                              à suivre

  • AVENTURES DU BOUT DU MONDE (1)

             SYDNEY SANS BILLET

     

    Bissau. (Août 2006). Perdu avec mon fils Alex dans la profonde jungle de la Guinée Bissau, fuyant (sans le pouvoir !) les gros moustiques anophèles femelles porteuses de malaria et les géantes termitières attirant les belles couleuvres et vipères du coin, je m’évade vers d’autres cieux plus cléments…un voyage dans la mémoire !

     

    Plusieurs anecdotes me reviennent à l’esprit et j’ai soudain envie de les écrire, donc les revivre. L’une, est au quartier huppé de Rose Bay, en Australie, la seconde face au lit de Simon Bolivar à Cuzco au creux du Pérou, une troisième à l’aéroport de Darwin vers l’île des « jeunes dinosaures ou komodos » de Timor, au Lorosae,  au sud de l’Indonésie, une quatrième au "Kikar Rabbin" à Tel Aviv en Israël et enfin une cinquième aventure aux Maldives où notre beau et grand Bouddha sri lankais nous fut confisqué à la douane...

    Rattrapons le train de la mémoire!

    J’étais au quatrième semestre de sciences Po, à l’université de Köln, et suis rentré passer trois jours à Tunis pour embrasser mes parents et leur apprendre et « expliquer » que je partais pendant 70 jours (congé-prolongé entre deux semestres d’études) vers un long périple entre l’Océanie et l’Asie du Sud-Est ! Six mois de préparatifs soutenus et un achat de gros tronçons de voyages aériens entre plus de 30 pays….

    Mon père, comme d’habitude, me dit derechef que j’étais le roi des fous, que c’est long et dangereux et se demande comment j’avais fait pour acheter tous ces billets d’avions. Bref, il ne me restait plus qu’à me faire rembourser le tout et passer mes vacances à Hammamet !

    La nuit fut atroce et je n’avais pas assez d’arguments pour lui expliquer que c’est en auto-stop que je comptais traverser la majorité des pays….

    Au café du matin, son air furieux fait place à un tendre sourire et à une profonde inquiétude.

    -«  Tu n’as que 20 ans et un tas de billets d’avions et même trois visas sur ton passeport ! J’ai bien compris que tu traverseras ces pays en stop et que tu acceptes ce risque, mais il reste un point noir : comment feras-tu du stop entre Auckland en Nouvelle Zélande et Sydney en Australie ? »

    Je connaissais ce problème certes mais j’ai pensé trouver une solution miracle à Wellington, Auckland ou même à  Dunedin dans la lointaine Nouvelle Zélande !

    Et à mon père de continuer sur sa lancée d’une voie douce et protectrice :

    -«  Bois vite ton café, tu iras au 35 Rue Es-sadikia à Tunis, chez notre voisin M. Ferjani, patron d’une agence de voyages….qui t’attends avec une petite surprise »

    Effectivement, l’ami de mon père me reçoit avec des yeux écarquillés , tente à son tour de me dissuader à aller au bout du monde et finit par sortir deux enveloppes blanches de son tiroir. La première contenait un billet d’avion reliant Wellington à Sydney. La seconde contenait une chose que je déteste. Un paquet de cigarettes de couleur bleu.

    -«  Puis-je te demander Rached de remettre à Gaston Darmon, installé à Sydney, ce paquet de cigarettes tunisiennes, de la part de sa sœur…qui espère ainsi par ton intermédiaire revoir un jour Gaston ! »

    El là commence une incroyable aventure

    A suivre …

  • La mémoire du Voyageur

    Voyage vers les autres, voyage vers l’Autre

    N’était-ce et ne fût-ce la magie de la mémoire, le voyage de la vie serait dénué de tout fondement. Le Voyageur qui écume les océans, traverse les plaines et arpente les forêts, n’est doté que d’une seule arme : les trésors de sa mémoire, qui s’étalent de l’apprentissage des langues étrangères à la connaissance de la culture de l’Autre.

    C’est une phrase du Cigéviste et Prix Nobel de Physique, le professeur Pierre-Gilles de Genne, lors d’une conférence à l’Université de Tunis le mois passé, qui déclencha en moi cette envie de sonder un peu plus la mémoire du Voyageur. Au professeur de dire : « Un être humain normal a en mémoire 100 000 mots s’il ne parle qu’une seule langue. Par contre, celui qui en parle neuf par exemple et qui, de surcroît, est voyageur, a une réserve d’un million de mots en mémoire et non pas uniquement 900 000… ».

    Je revois soudain notre petit avion bimoteur atterrissant sur un minuscule rocher de l’archipel Juan Fernandez à l’île de Pâques. Ma mémoire visualise une centaine de fleurs de pavot dansant au gré du vent et narguant notre petit avion.

    Le pavot n’est pas un pavot mais une fleur similaire dite amabolla d’un rouge aussi vif que celui d’un coquelicot : ma mémoire l’a habillée de deux robes différentes. La première était celle d’une odeur âcre et persistante et d’une couleur sombre et sinistre : un fumoir d’opium à Luang Prabang, au Laos, en 1973. La seconde image, simultanée et immédiate, est celle d’un champ de tulipes au port altier, aussi aguichantes que ces pavots dansants, avec le même bruit du vent et la même danse qu’au village miniaturisé de Madurodum, en Hollande, en 1969. Quelle est donc cette machine qui, en quelques secondes, lors du fracassant atterrissage d’un petit avion au bout du monde, retrouve avec netteté et force couleurs, sons et odeurs des clichés demeurés intacts après plus de 30 ans ? La Mémoire !

    Quid de cette mémoire ?

    Notre esprit est fait d’émotions pour aimer et apprécier, d’intelligence pour comprendre et enfin de mémoire pour agir. Cette mémoire permet d’acquérir l’information, de la conserver et de la restituer.

    Tel un muscle, la mémoire se fortifie à l’emploi. Pour éveiller les sens, il faut aiguiser l’intérêt qui permet ainsi à la mémoire de se développer. Pour son bon fonctionnement, elle exige également forme et santé. Le sujet non fatigué qui boit les paroles de l’autre ou avale la page d’un livre gravera facilement le message dans sa mémoire.

    Face à l’énigme de la mémoire, St Augustin disait déjà au Ve siècle : « L’esprit de l’homme est trop petit pour se comprendre lui-même ».

    Comment fait donc notre mystérieux cerveau pour comprendre et restituer ?

    Nous disposons de près de 50 milliards de neurones dans notre cerveau. Des milliers de milliards de synapses, ou points de rencontre, permettent aux neurones de communiquer. Leur fonction est donc de recevoir, de conserver et enfin de transmettre les informations reçues au moment voulu.

    Pour garder cette machine en marche, il faut l’utiliser à fond. Et toujours. La mémoire ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

    Les champs d’activité de la mémoire sont innombrables. Apprendre les langues étrangères dope notre mémoire d’une façon fantastique. D’autant plus que le Voyageur, par cette langue nouvelle, pénètrera le giron, la culture et la pensée de l’Autre. Le Voyageur polyglotte est ainsi beaucoup plus riche. Pendant le voyage, les innombrables flash-back poussent nos neurones à une véritable danse du feu. En quelques secondes et par analogie, on délaisse le monstre du Loch Ness en Ecosse, pour rechercher la grenouille sacrée orangée et noire d’Atelopus, au lac Titicaca, en passant par l’incroyable et vieux dinosaure des mers encore vivant, le coelacanthe des îles Comores. Mémoire quand tu nous tiens...

    Le voyage permet donc la rencontre avec les autres et avec l’Autre, il est ainsi un détenteur fascinant de l’altérité, qui est une valeur en soi.

    L’écriture du voyage, basée sur la mémoire, servira alors à prolonger le voyage. Cette écriture devient un acte mémoriel, avec une grande variété spatiale, temporelle et linguistique.

    Innovant l’enseignement, les Anglais interpellent la mémoire et lancent aujourd’hui sur le Web, une méthode ludique et interactive pour apprendre l’anglais : « Tell me more kids » se fonde sur la technologie de la reconnaissance vocale du professeur Phileas et du perroquet Kaliko. Les jeux, le karaoké et les dessins animés en feront de même pour stimuler la mémoire.

    Dans la vie pratique, La mémoire accessoire sera de plus en plus présente, sous forme d’ordinateur, de super téléphone portable, d’un MP3, d’un iPod, d’un GPS ou d’un précieux organiser.

    La « Mémoire générationnelle » qui transmet la culture, l’identité et l’art des aïeux est différente de la « Mémoire historique » qui relate les grands événements et qui se veut aussi une morale. Les Allemands n’ont-ils pas mis au point une nouvelle approche dite « Gegen das Vergessen » ou « Contre l’oubli » afin que la mémoire collective allemande comprenne ses maux, panse ses plaies et se réconcilie avec son Histoire ? Un devoir de mémoire nous permettra de renouer avec un passé aussi tumultueux soit-il pour en extraire les germes d’un futur plus serein sur le chemin de la Paix !

    Le « Respect du passé », nous permet également de rendre hommage à nos aînés, à nos héros et à nos pères. Rendre à César ce qui est à César. La mémoire sera ainsi un gage d’éternité tel que le décrit si bien Vladimir Yankelevich “ Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité ».

    Reste tout un champ de mystérieuses mémoires, inexplicables et encore inexplorées, telles la transmission de pensée, la télépathie ou encore la mémoire intra-utérine. Le père de la psychanalyse moderne Sigmund Freud n’a-t-il pas découvert une autre face de la mémoire le « Unterbewusstsein » ou « l’inconscient ».

    Il faut peut-être savoir attacher du prix à l’inutile et utiliser parfois la mémoire qui imagine plutôt que celle qui répète ! Il faut vouloir rêver, le voyageur en est peut-être capable !

    Le voyage est encore long ! La génétique enfin, nous permettra un jour, de sauvegarder notre mémoire, basée sur un « capital neurones » non renouvelable !

    Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage et qui a doté sa mémoire de la culture des autres afin de mieux comprendre et aimer cet Autre.

    Bon vent, bon voyage à tous les lecteurs d’Astrolabe et de ce Blog CIGV!

    © Rached Trimèche

  • AU ROYAUME DU CONGO

                             
       UN TAXI POUR DIOSSO


    Pointe Noire. (Janvier 2001). Je n’ai plus 20 ans et déjà des cheveux blancs. Renouer avec sa jeunesse est pourtant en bout de piste, au cœur du voyage, en pleine épopée. La magie suprême du voyage après la découverte culturelle du pays est de pouvoir revivre ses 20 ans. Être dans un pays inconnu, armé de son sourire et de mille questions, c’est retrouver les ailes d’Icare pour brasser tout ce qui vient et embrasser le large horizon nouveau, riche en surprises souvent divines !


    Ce soir, au bord de la plage de Pointe Noire où se profilent d’inquiétantes et hirsutes ombres noires, je me vois chanter à tue-tête, tout comme il y a 30 jours à peine à Chisinau en Moldavie, par une glaciale nuit de décembre. Un étrange feu rougeâtre monte de la mer, celui d’un derrick qui extrait le précieux or noir congolais. Au diable les milliers d’armes à feu qui circulent encore dans ce pays qui sort à peine d’une longue guerre civile. Il n’est que minuit et la promenade continue…


    Les réceptionnistes de notre hôtel nous ont pourtant prévenu d’éviter de sortir à pied la nuit, mais la tentation de patauger comme des canards en milieu de chaussée, dans de profondes flaques d’eau fangeuse, est plus forte. Pas âme qui vive. Les restaurants sont déjà fermés et nous nous contentons d’un bar-restaurant au fond d’une ruelle isolée. Bordé de bananiers, d’hibiscus rouges et de cocotiers géants, le Rubens ouvre ses portes sur un autre siècle, un autre monde. Imaginez un établissement d’Afrique équatoriale fréquenté exclusivement par des Blancs, avec un orchestre et des serveurs Noirs. Une lumière tamisée, une musique entraînante et langoureuse couve les clients en fête. Une jeune Portugaise tout de rouge vêtue nous installe dans de confortables fauteuils bleus rayés de blanc.

    Tous ces Blancs représentent aussi bien Elf-Aquitaine, Schlumberger, Agip que d’autres consortiums américains et français. Le pays, « chasse gardée » de l’ancien colonisateur, réussit à les maintenir en place durant de nombreuses années. Mes nouveaux amis avouent y être en majorité depuis plus de 10 ans. C’est que le jeu en vaut la chandelle.

    Nous sommes dans un Congo qui produit non seulement 12 millions de tonnes de pétrole offshore par an (5e après l’Algérie, la Libye, le Nigeria et le Gabon ) mais également du gaz naturel, du bois, du cuivre, de l’uranium, des diamants et de l’or.

    HÔTEL SANS EAU

    Se réveiller sans eau courante dans le seul hôtel 5* du pays est plutôt surprenant.

    Point de douche, ni de café ! À la guerre comme à la guerre, avec un tube dentifrice et une brosse à dent en poche, nous quittons notre hôtel M’bou-Mvoumvou pour aller vers un sympathique café parisien. Elle est blonde de tête et ébène de peau. Mireille née en Afrique Centrale, de père français et de mère Banguissoise est fière de sa tignasse colorée et défrisée. Gérante du café, elle accueille avec un large sourire trois jeunes Français de 60 ans qu’elle place autour d’une table centrale. Son cappuccino est hélas froid et ses croissants viennent de la boulangerie voisine.

    Les caprices du hasard qui guident le voyageur encore endormi le poussent à chercher cette pâtisserie sans trop savoir pourquoi. Le cours du voyage changera à cette minute même.

    Une luxueuse pâtisserie arbore sur son entrée 8 lettres magiques : « Phenicia ». La sœur de Carthage, Tyr la Phénicienne libanaise, tissera rapidement une solide amitié entre les enfants de ces deux villes historiques. Ce lieu où nous avons dégusté les plus délicieux gâteaux et croissants du continent, après Cap Town, deviendra notre Q.G. ou Quartier Général. C’est ici que l’on rencontrera les marchands d’œuvres d’art dont l’un s’improvisera guide pour Diosso. Le voyage s’annonce compliqué à plus d’un titre. Il nous faudrait trouver un taxi qui accepte de quitter Pointe Noire, qui ait plus de 10 litres d’essence dans son réservoir pour nous conduire au village de Diosso, à une heure de route à peine, pour aller ensuite affronter la route chaotique qui mène au Roi du Congo.

    Joseph notre jeune guide nous abandonne au bout d’une heure de marche dans une station service où une plèbe en attente fulmine de rage. Mal rasé, filiforme, vêtu d’une simple chemise qui fut un jour blanche, notre pompiste en faction hurle en tous sens puis jette avec force et fracas un gros bidon jaune de 20 litres. Esseulé et taciturne le bidon vide se retrouve en bout de queue. Soudain jaillit de nulle part une belle silhouette noire tout de noir vêtue, cachée derrière de grosses lunettes Ray-Ban. Son parfum laisse un doux sillage et son verbe châtié ose à peine apostropher le fougueux pompiste qui vient de jeter son précieux bidon jaune. Je ne sais ni comment ni pourquoi je suis pris pour « l’époux de la dame esseulée » qui doit de suite réparer une injustice et redonner au bidon la place qui lui revient. En tête de queue. La foule bruyante et jacassante se tait comme par miracle. Un cercle se forme autour du malheureux couple désabusé qui n’aura peut-être pas de carburant ce soir, dans un pays qui produit pourtant près de 12 millions de tonnes de pétrole par an. La foule dont les mouvements sont souvent mystérieux me disait un chef d’Ētat mexicain il y a plus de 20 ans, se transforme ce midi, en protecteur du malheureux couple jeté aux orties et aux oubliettes de l’histoire.

    Le bidon plein comme par magie est embarqué à bord d’une 4x4 noire rutilante. Evelyne accepte courtoisement de nous déposer au marché de Pointe Noire d’où partent les taxis pour Diosso. Plus d’une heure de route, pataugeant dans une terre glaise où les nids-de-poule se veulent des nids d’éléphants, au niveau de l’équateur, La pluie ne cesse de nous arroser au rythme des 12 mètres d’eau/m2 qui tombent par an au Congo. Avec la ferme promesse de se revoir le « jeune couple » qui ne le fut jamais se sépare avec une certaine mélancolie.

    À la recherche d’un taxi

    Avec R.B. mon compagnon de route nous sommes transformés en épouvantails trempés et flottants. Ni bus, ni car, ni taxi pour Diosso. Deux heures interminables où l’image de la jeune dame en Ray-Ban devient un mirage ou une simple illusion. Drue, tenace et pénétrante la pluie nous fouette à souhait. Une douce température de 25°C nous rend cette « baignade sur route » presque sympathique et la gadoue presque agréable. Ce n’est pas un bain de thalassothérapie aux algues marines mais une véritable « marée noire » qui inonde un semblant de chaussée. Sous cette pluie diluvienne, le souvenir de mon 165e pays visité sera marqué d’une croix blanche.

    Soudain apparaît comme par miracle un taxi bleu. Une Renault vieille de 30 ans nous accueille à son bord. Les sièges sont défoncés et les deux vitres avant sont absentes. Le plus curieux est le pare-brise. Imaginez le Français Douillet, champion du monde de Judo, donnant un coup de poing en plein pare-brise côté passager et que son poing ne casse point le verre mais le déforme en une bosse concave de 25 centimètres de diamètre. Le verre fendu mais non brisé est entouré d’une auréole semblable à un halo d’une lune de 40 cm de large. Bonjour le spectacle ! Seconde surprise, Daoud le conducteur tchadien refuse de partir avec moins de six passagers. Mais comment vont-ils s’incruster dans ce taxi ? Il est vrai que l’arbre à palabres est bien né en Afrique et que nous serons obligatoirement six passagers à bord. Une jeune passagère se retrouve sur les genoux hospitaliers de mon ami…sur la banquette arrière.

    Au bout d’une heure de route qui en semblait dix, après avoir subi moult tangages et roulis, le chauffeur décide d’embarquer dans son coffre arrière, déjà plein, un sac de sucre de 50 kg .

    À la seconde ou nous commencions à penser quitter ce taxi vraiment dangereux surgit une tête noire et crépue à travers notre fenêtre ouverte. Il s’exclame à ma vue : " mais vous êtes le mari de la femme au bidon d’essence jaune ? » La suite est rapide. Moussa, notre nouvel ami croisé le matin même au kiosque à essence de Pointe Noire, sera notre nouveau guide. Il prendra le temps de manger son riz à la main, en boulettes grasses, dans son hangar commercial où s’amoncellent une centaine de sacs de ciment indonésien. Encore une heure de brousse africaine pour arriver au village de Diosso.

    Le maire est absent et aucun 4x4 n’est disponible. Comment parcourir les 2 kilomètres restant, sur un chemin qui n’est qu’une profonde entaille dans la jungle ? L’eau ne cesse de nous envahir et nos idées se noient dans la torpeur.

    Dire que le Roi du Congo est là, juste après ces fabuleuses gorges rougeâtres, ce cirque qui rappelle celui de Cilaos à l’Ile de La Réunion et que nous sommes plantés ici ? À la Paix comme à la Paix, Moussa accepte, la mort dans l’âme, de lancer sa Toyota bleue, dans le dernier circuit des 24 heures de Diosso !

    Après 30 minutes de « navigation » une insolite barrière de bambou jaune marque le début du royaume. Magique, simple et incroyable. Une banale banderole en tissu annonce en lettres rouges « ROYAUME DE LOANGO ». Oui, au cœur de la République le royaume du Congo est toujours là. Après de longues palabres avec les préposés et les sujets de sa majesté nous n’avons réussi qu’à obtenir un rendez-vous pour le lendemain matin.

    Le chemin de retour sera silencieux et rêveur sur les traces indélébiles de l’histoire du Congo. Long de 4 700 kilomètres, le fleuve Congo né au Katanga se jette dans l’Atlantique et donne son nom à deux pays : le Congo Kinshasa dit belge ou République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) affectueusement appelé aujourd’hui Congo-Kabila et le Congo Brazzaville dit français où nous sommes maintenant. En 1875, le Français Savorgnan de Brazza explore la région qui sera ensuite intégrée en 1910, comme colonie dans l’A.O.F. ou Afrique Equatoriale Française. À la fin de la 2e Guerre mondiale en 1944, le Général de Gaule jetta ici, à Brazzaville la capitale, les bases de l’Union française. Deux ans plus tard le Congo deviendra un TOM (Territoire d’outre mer) comme l’actuelle Polynésie française par exemple, jusqu’en 1956. Pendant douze ans le pays sera mené par l’abbé Fulbert Youlou jusqu’à l’avènement de la République et celui de l’autonomie en 1958 et enfin l’indépendance totale en 1960.

    La République sera houleuse. Massamba le socialiste succède à Youlou et Marien Ngouabi qui penche vers la Chine sera assassiné en 1977. Une longue lutte fratricide entre les leaders Lissouba et Sassou-Nguesso déchire le pays. Sassou-Nguesso hérite finalement en 1997 d’un Congo dévasté, ruiné et endetté. Cette semaine de janvier 2001, il reçoit à Brazzaville le patronat français, le MEDEF, et David Kaefer, Ambassadeur des USA, ses deux bailleurs de fonds et commanditaires de ses richesses minières !

    ROYAUME de LOANGO

    24 heures plus tard et d’une façon plus aisée, nous sommes de nouveau au royaume de Loango sous un soleil éclatant. Un ensemble de cases en bambou recouvertes de tuiles rutilantes forme toute la demeure du roi. Son véritable château étant en réparation, ce sont ces cases de fortune qui accueillent la cour et les dix sages du pays représentant les dignitaires des dix principales régions du Congo ! Son prédécesseur fut destitué il y a 25 ans et l’actuel roi Malonga ne fut intronisé par son peuple que le 4 novembre 2000. Nous sommes dans le monde des Téké, du Loango et des pygmées de la forêt équatoriale.

    Un interminable défilé, ponctué de protocole, rites, us et coutumes laisse très peu de temps à notre rencontre. Une plongée dans un autre millénaire que cette journée chez le roi du Congo.

    Parmi des centaines d’images restera celle d’une petite case centrale avec un trône couvert d’une peau de léopard, un tapis persan, trois plumes blanches, un arc ancestral, un curieux ventilateur au silence oublié et ce colifichet en ivoire que je porte autour du cou, en souvenir du roi. Du haut de ses soixante-dix ans sa majesté nous explique la royauté : « Chez nous, contrairement à la couronne britannique ou espagnole ce n’est pas mon fils qui sera mon successeur et je ne suis pas le fils du roi défunt. L’héritage de la couronne se fait par les neveux. Ainsi seul le fils de la sœur peut y prétendre et non le fils du frère qui tombera dans l’oubli comme le fils du propre Roi. La raison est fort simple. L’Africaine fort désirable et le mari fort volage ne peuvent garantir un parfait sang bleu. La sœur du roi est par définition pur sang bleu. Son fils ne peut-être que du même sang royal. Reste la démocratie qui sera souveraine si la sœur en question a plusieurs fils. Il y aura alors un vote, un choix ou une élection entre les neveux prétendants à la couronne royale. La carte de la sécurité est la seule en jeu ». La sagesse africaine ou la logique sans faille !

    DÎNER AU CLAIR DE LUNE

    C’est notre dernier soir à Pointe Noire et notre soirée s’annonce insolite. Retour vers la plage, au club privé des pétroliers qui nous accueille sur présentation d’une carte diplomatique. En quelques secondes, la profonde Afrique noire fait place au luxe et au lucre des Seychelles et de l ‘île Maurice. La mer se mû en lagon, la lune se pare de tous ses feux et le sable cristallin qui nous sépare de l’océan atlantique est une véritable invite au voyage. Le premier restaurant se veut fastueux et croule sous une dense végétation équatoriale qui l’enferme sur trois côtés. Le second a l’avantage d’être pratiquement en bord de mer, vêtu des seuls feux de la lune et bercé par la douce mélodie d’un orchestre créole. D’immenses cocotiers s’élancent courbés vers les nuages, en quête d’une obole divine. Là, tout au bord de l’eau surgissent soudain des dizaines peut-être des centaines de crabes blancs qui gigotent en tout sens. Je retrouve l’ambiance de mon île de Grenade aux larges des Antilles avec un zeste de Pralin, aux Seychelles, et la fragrance des Villas du paradis à l’île Maurice. Tout n’est qu’ordre, beauté et volupté disait notre ami Baudelaire. Deux heures de quiétude et de bonheur à voir défiler un festival de poissons, de crustacés et de fruits de mer, le tout arrosé d’un bon vin blanc d’Afrique du Sud.

    Heureux pétroliers étrangers qui vivent au Congo. Leurs maisons sont des villas de maîtres, leurs restaurants des trois fourchettes et leurs escapades dans la forêt vierge conjuguent la passion et l’éternel recommencement. Un jour, peut-être, les autochtones congolais pourront profiter eux aussi de leur pays, raffiner leur pétrole, extraire leurs minerais précieux et partager plus équitablement leurs innombrables richesses. Reste encore le fait de le décider et surtout de le faire. Amen !

    Brusquement le décor s’entoure de mystère. Un léger nuage gris voile la pleine lune. Nous sommes les derniers clients du restaurant.

    Soudain, mon verre pourtant vide est noyé d’eau. Une balle blanche, semblable à une balle de golf monte et remonte allégrement dans ma coupe de cristal. Silence. Inquiétude. Mais voilà que la balle s’envole, prend du volume et commence à faire le tour de notre table en rasant ses bords. Lentement au départ et puis de plus en plus vite. Elle prend la forme d’une lune et cet astre naissant nous subjugue et nous envoûte ! La balle n’est pas une balle, la lune n’est pas une lune. Elle s’arrête, reprend son élan, tourne encore autour de nos têtes éberluées et redevient le satellite géostationnaire de notre bonne vieille terre, une belle lune de janvier qui rend le voyageur dubitatif et heureux!

    L’imagination débordante galopant à brides abattues nous fait souvent don de quelques minutes de grâce. Ces instants de « lune qui danse » et ces moments de délectation face à l’Atlantique forment le secret du bonheur. Dans une vie qui s’évade à vive allure, ces brefs instants sont les seuls moments où la vie acquiert encore plus de sens. Des instants de qualité.

    De cette plage de Pointe Noire, une hirondelle au dos d’ébène et au ventre de lait, trisse et gazouille porteuse d’un salut nocturne au roi du Congo.

                                          15.01.2001 © Rached Trimèche