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Azierbaidjan

  • LA MONTAGNE DE FEU

    Voyage à Bakou

     

      Bakou. (juillet 2000). Pourquoi débarque-t-on dans cette région du monde à l’heure de l’aube naissante ? Au cœur du Caucase, notre avion atterrit à Bakou à 4 h 15 du matin. Le temps d’acheter un visa et d’accomplir une dizaine de formalités nécessaires et incompréhensibles et nous voilà enfouis dans un taxi mettant le cap sur la capitale de l’Azerbaïdjan, guidés par les premières lueurs de l’aube. 

    Une vieille Lada jaune délavé des années soixante qui pétarade et avance à grand fracas nous dépose devant un hôtel en front de mer qui ressemble plutôt à un hôpital.

    Quel plaisir que de déposer enfin son sac de voyage dans cet hôtel vieux de 60 ans, désuet et croulant, qui garde pourtant presque intactes les dorures de l’ancienne URSS. Le Inn Tourist Hotel de Bakou vit de ses souvenirs et n’évolue guère.

    Une heure de ballade à pied au bord de la mer Caspienne, à 6 h 30 du matin, à travers les beaux et désertiques jardins de Bakou est une aventure sans pareille.


    Partons ce soir à la rencontre d’un prophète bien curieux : Zoroastre

    En fin de journée, S.E. Jean Pierre Guinhut, l’Ambassadeur de France à Bakou, nous attend à la tête d’un convoi de trois véhicules ; le premier est une rutilante limousine noire, le second un grand camion blanc et le troisième une vieille estafette grise. Nous quittons la vieille ville, ses remparts, la tour de la Jeune Fille et ses autres monuments imposants au bout de trente minutes.

    Seul le noir enveloppe notre route. Le paysage devient subitement désertique et la route se mue en une piste lancinante. Les premiers derricks de pétrole paraissent à l’horizon. Noirs et taciturnes. On se croirait dans un film des années quarante. Mais voilà que notre vitesse d’à peine 60 Km/h se réduit à 20.

    Il est là, gros, gras et imposant. Ce ZIL accapare toute la chaussée et ne peut être doublé dans une montée. Ce Zavot Imeni Lenina ou ZIL n’a rien perdu de son lustre d’antan et garde plus que jamais sa signification de « véhicule dédié à Lénine ». Sa couleur bleue océan en furie détonne dans la grisaille du paysage illuminée par une lune qui se fait toute ronde et coquette.

    Nous sommes bien dans une enclave de l’ancien empire de l’URSS qui gardera longtemps les aléas, les méfaits et les absurdités d’une théorie révolue.

    Ce que l’homme a pu faire au nom d’une idée ! Ce que l’homme a dû faire pour l’imposer ! Ce que l’homme a souffert de sa mise à effet !

    Au bout d’une heure de route, notre petit cortège s’arrête devant une bâtisse grise. L’Ambassadeur, gentleman occidental en pays perdu, survole du regard l’assemblée et nous communique sa frénésie et sa soif de culture. De la grosse camionnette surgissent trois Azéris au profil indien, tenant chacun jalousement un insolite instrument de musique. Du troisième véhicule surgissent les aides de camp de sa majesté pour mettre au point le programme de la soirée. Tout paraît normal jusque-là, ou presque.

    Mais soudain, en contournant ce bâtiment qui me rappelle l’architecture d’une enclave russe visitée au nord de Spitzberg ou Svalbard et de l’île Victoria, apparaît un spectacle qui me coupe le souffle.

     6 000 ans de feu

    Ce que nous voyons n’a pas changé depuis 6 000 ans. Imaginez, par une nuit de pleine lune, une cuvette de 40 mètres de long et de 10 mètres de large bordée de chaque côté de deux escaliers type aztèque. Imaginez dans son creux une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large qui brûle ainsi depuis 6 000 ans. Le plus irréductible des athées ne manquera pas d’inventer un Dieu ou une divinité devant ce feu qui brûle depuis 6 000 ans. La première heure est une heure de doute, d’interrogation, de magie, et même de transe. J’ai beau monter les marches de gauche, descendre celles de droite, toucher le feu et me brûler, je ne peux toujours croire que cette flamme brûle ainsi depuis 6 000 ans.

    La magie du voyage est un don du ciel. Mon 161e pays visité  en est une preuve de plus !

    Quelle chance de pouvoir admirer avant le Grand Voyage tant de merveilles et tant de curiosités sur cette Terre ; une microscopique planète qui n’est que le fruit d’un accident jeune de quatre milliards d’années. Une étoile parmi des milliards d’étoiles dans une galaxie au sein de millions de galaxies. Devant cette époustouflante immensité, l’homme dont l’ancêtre Ramidus l’Ethiopien n’a que 4,2 millions d’années a dû souvent se poser la même question : que faire pour s’accrocher à la vie et la doter d’un certain sens ?

    Sans vouloir entrer dans aucune théologie ni croyance, je pense que cet animal pensant dit homme n’a eu de cesse de par sa faiblesse de se chercher un bâton de secours, une raison d’être.  

    La planète nous révèle que bien des peuples, en passant des Incas du Pérou aux Aztèques du Mexique, des Moai de Rapa Nui (île de Pâques) aux Egyptiens, ont dû se créer une divinité, un « bâton de secours ». Les astres et les forces de la nature furent ainsi nos premières croyances. Si celles-ci peuvent aider l’homme à se donner une raison d’être et à pouvoir faire la part du son de l’ivraie, alors il est plus simple de croire : « Croyons, enfants de la planète ! ».

    Il n’est donc pas étonnant qu’un soir, un Azéri d’origine indo-européenne se soit prostré devant ce feu millénaire et ait enfanté le zoroastrisme.

    Le temps de digérer sur une marche d’escalier toutes ces envolées lyriques et mystiques que se dresse devant moi un incroyable orchestre composé de trois personnages qui en paraissent vingt. Le premier, à la fine moustache noire, tient en main une kamanja, un curieux violoncelle reposant sur une sorte de chevalet de 10 centimètres de long qui le fait pivoter sur le genou du musicien. L’archet reste horizontal dans ses va-et-vient et de la rotation de la kamanja naît la musique. Le second manie un tambourin et le troisième un rebab, instrument à trois cordes frottées, dont la table d’harmonie est en peau.

    Une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large brûle ainsi à Bakou depuis 6 000 ans ! Mais d’où vient-elle donc ?

               (@suivre : Les Zoroastriens)