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  • J’avais 21 ans et des poussières

    HÔTEL OU PRISON ?



    (4e escale avec "Air Désolé"). À première vue, nous sommes dans une grande chambre d’hôtel, de Miami aux USA, avec quelques curiosités. Je repère rapidement de petites et discrètes caméras murales semblables à celle de ma pharmacie de Ben Arous et tout un mur lambrissé de panneaux métalliques coulissants.

     Anis mon fils, du haut de son 1,92m, découvre les boutons adéquats et ouvre un pan métallique qui dévoile une fenêtre à barreaux solidement protégée. Le 6e étage devrait déjà dissuader l’entrée illégale aux USA et tous ces barreaux, caméras et gardiens sont un frein supplémentaire à l’évasion.

    Le temps prend soudain une autre dimension. Nos anges gardiens sortent un fauteuil de notre chambre et s’y installent à deux devant notre porte qui se referme sur nous. Le téléviseur diffuse en boucle des programmes insipides qui nous lassent rapidement. La lecture n’a plus d’intérêt. Que font donc ceux qui doivent passer dix ou vingt ans en prison ?

    Je repense à mes héros d’enfant, aux îles du Diable, au large de la Guyane française, où je suis allé rechercher les traces de Papillon, à l’île d’Alcatraz au large de San Francisco et ses célèbres prisonniers, à l’archipel Juan Fernandez et son illustre hôte Alexander Selkirk alias Robinson Crusoë et à tant d’autres lieux immortels que j’ai eu la chance de découvrir tout au long de mes 185 pays visités.

    Voilà que la mémoire, cette machine inimitable et inimitée, qu’aucun Deep blue ne peut battre ni aux échecs (Kasparov) ni en nuances de toutes sortes, projette et fait défiler sur les tristes murs de ma chambre un film en couleurs que j’avais oublié, voire occulté.

    J’avais 21 ans et des poussières. Je venais d’interviewer pour le Figaro de France (un de mes premiers employeurs, avec la Feuille d’Avis de Lausanne et La Presse de Tunisie) le général Francisco Galeo dans sa villa cossue d’Ipanema, à Rio de Janeiro, au Brésil. A la fin d’une journée mémorable, je le voyais dubitatif face à mon inconscience ou à ma folie. Je remontais en auto-stop de Terre de Feu vers Acapulco, au Mexique, pour prendre un avion et rentrer à Genève. Magnanime, le général lève son verre de bon vin blanc et trinque, face à la baie de Rio, à la santé et à la folie des Voyageurs. Méditatif, il se mure soudain dans un silence inquiétant. Inquiét et optimiste à la fois, je ne comprenais pas son attitude. Il téléphone nerveusement, griffonne un mot rapide sur sa carte de visite, appelle son majordome et me dit :
     

     « Ricardo, que Dieu te vienne en aide pour traverser l’Amazonie et rejoindre ton Machu Pichu qui te fait tant rêver. Je voudrais t’aider à ma façon. Voici une bonne adresse de mon confrère à Brasilia, notre capitale fédérale, il t’accordera un vol gratuit de Brasilia à Lima à bord de notre avion militaire FAB qui part dans 3 jours. Adios amigo ! »

    Sans passagers, notre avion militaire chargé de lourds colis, étranges, couverts de filets aux larges mailles, survole un pays hors du temps.

    La Bolivie où nous devons faire une escale technique de 6 heures. C’est sur un pont de Santa Cruz que se joue mon sort. Cette charmante fille brune à qui je parle tombe subitement comme une feuille morte. Son collier de graines noires et rouges m’est resté accroché dans la main et il me suivra jusqu’à Ben Arous… La rue s’agite et se vide à l’instant. Des tirs de mitraillette, des cris, des pleurs et des jurons s’entremêlent éperdument ! C’est paraît-il le 164e coup d’Ētat du pays. En quelques minutes, je me retrouve encerclé par des militaires et emmené dans un vaste hangar. Deux heures plus tard, nous étions une vingtaine d’étrangers prisonniers dans cette cage de fortune et partis pour une nouvelle longue aventure. Sans fin ou à fin brutale.

    Le hasard, ce superbe Dieu des voyageurs, me donne une idée. Je m’approche du soldat responsable, lui présente mon coupon de vol FAB (Fuerca Aera Brasiliera ou Force Aérienne Brésilienne) qui eut l’effet escompté ! Il chuchote avec ses pairs, s’adresse à son officier qui libère rapidement l’otage. Il n’est pas possible d’arrêter un officier brésilien ! Le géant-voisin reste intouchable tout comme celui de l’oncle Sam.

    Je regagne dare-dare mon avion militaire avec une tête pleine à craquer d’images du Libertador Simon Bolivar, fondateur de la république de Bolivie, de son adjoint le maréchal Sucre, qui donna son nom à la capitale et à la première monnaie du pays (qui deviendra boliviano) et du mouvement de guérilla d’Ernesto Guevara, alias Che, tué ici, dans le feu de l’action en 1968.

    Il est déjà minuit ! Le bruit du silence est assourdissant ! Elles se choquent, se bousculent et s’entrechoquent dans ma tête… ces aventures d’antan…

    Soudain, mon cœur bat la chamade et je ne peux résister à cet enfermement injuste !

    Claustrophobie et rage font tourner la mayonnaise du fils, du père et même du Saint Esprit...

    Mais comment sortir de cette cellule 609 ?

            (Suite et fin : Que Dieu pardonne « Air Désolé »)