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  • ZOROASTRE, un prophète bien curieux

    LA MONTAGNE DE FEU

     Une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large brûle ainsi depuis 6 000 ans


     

    Bakou. (juillet 2000). Pourquoi débarque-t-on dans cette région du monde à l’heure de l’aube naissante ? Au cœur du Caucase, notre avion atterrit à Bakou à 4 h 15 du matin. Le temps d’acheter un visa et d’accomplir une dizaine de formalités nécessaires et incompréhensibles et nous voilà enfouis dans un taxi mettant le cap sur la capitale de l’Azerbaïdjan, guidés par les premières lueurs de l’aube.

     

    Une vieille Lada jaune délavé des années soixante qui pétarade et avance à grand fracas nous dépose devant un hôtel en front de mer qui ressemble plutôt à un hôpital.

    Quel plaisir que de déposer enfin son sac de voyage dans cet hôtel vieux de 60 ans, désuet et croulant, qui garde pourtant presque intactes les dorures de l’ancienne URSS. Le Inn Tourist Hotel de Bakou vit de ses souvenirs et n’évolue guère.

    Une heure de ballade à pied au bord de la mer Caspienne, à 6 h 30 du matin, à travers les beaux et désertiques jardins de Bakou est une aventure sans pareille.

    Partons ce soir à la rencontre d’un prophète bien curieux : Zoroastre

    En fin de journée, S.E. Jean Pierre Guinhut, l’Ambassadeur de France à Bakou, nous attend à la tête d’un convoi de trois véhicules ; le premier est une rutilante limousine noire, le second un grand camion blanc et le troisième une vieille estafette grise. Nous quittons la vieille ville, ses remparts, la tour de la Jeune Fille et ses autres monuments imposants au bout de trente minutes.

    Seul le noir enveloppe notre route. Le paysage devient subitement désertique et la route se mue en une piste lancinante. Les premiers derricks de pétrole paraissent à l’horizon. Noirs et taciturnes. On se croirait dans un film des années quarante. Mais voilà que notre vitesse d’à peine 60 Km/h se réduit à 20.

    Il est là, gros, gras et imposant. Ce ZIL accapare toute la chaussée et ne peut être doublé dans une montée. Ce Zavot Imeni Lenina ou ZIL n’a rien perdu de son lustre d’antan et garde plus que jamais sa signification de « véhicule dédié à Lénine ». Sa couleur bleue océan en furie détonne dans la grisaille du paysage illuminée par une lune qui se fait toute ronde et coquette.

    Nous sommes bien dans une enclave de l’ancien empire de l’URSS qui gardera longtemps les aléas, les méfaits et les absurdités d’une théorie révolue. Ce que l’homme a pu faire au nom d’une idée ! Ce que l’homme a dû faire pour l’imposer ! Ce que l’homme a souffert de sa mise à effet !

    Au bout d’une heure de route, notre petit cortège s’arrête devant une bâtisse grise. L’Ambassadeur, gentleman occidental en pays perdu, survole du regard l’assemblée et nous communique sa frénésie et sa soif de culture. De la grosse camionnette surgissent trois Azéris au profil indien, tenant chacun jalousement un insolite instrument de musique. Du troisième véhicule surgissent les aides de camp de sa majesté pour mettre au point le programme de la soirée. Tout paraît normal jusque-là, ou presque.

    Mais soudain, en contournant ce bâtiment qui me rappelle l’architecture d’une enclave russe visitée au nord de Spitzberg ou Svalbard et de l’île Victoria, apparaît un spectacle qui me coupe le souffle.

    6 000 ans de feu

    Ce que nous voyons n’a pas changé depuis 6 000 ans. Imaginez, par une nuit de pleine lune, une cuvette de 40 mètres de long et de 10 mètres de large bordée de chaque côté de deux escaliers type aztèque. Imaginez dans son creux une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large qui brûle ainsi depuis 6 000 ans. Le plus irréductible des athées ne manquera pas d’inventer un Dieu ou une divinité devant ce feu qui brûle depuis 6 000 ans. La première heure est une heure de doute, d’interrogation, de magie, et même de transe. J’ai beau monter les marches de gauche, descendre celles de droite, toucher le feu et me brûler, je ne peux toujours croire que cette flamme brûle ainsi depuis 6 000 ans.

     

    La magie du voyage est un don du ciel. Mon 161e pays visité en est une preuve de plus !

    Quelle chance de pouvoir admirer avant le Grand Voyage tant de merveilles et tant de curiosités sur cette Terre ; une microscopique planète qui n’est que le fruit d’un accident jeune de quatre milliards d’années. Une étoile parmi des milliards d’étoiles dans une galaxie au sein de millions de galaxies. Devant cette époustouflante immensité, l’homme dont l’ancêtre Ramidus l’Ethiopien n’a que 4,2 millions d’années a dû souvent se poser la même question : que faire pour s’accrocher à la vie et la doter d’un certain sens ?

    Sans vouloir entrer dans aucune théologie ni croyance, je pense que cet animal pensant dit homme n’a eu de cesse de par sa faiblesse de se chercher un bâton de secours, une raison d’être. La planète nous révèle que bien des peuples, en passant des Incas du Pérou aux Aztèques du Mexique, des Moai de Rapa Nui (île de Pâques) aux Egyptiens, ont dû se créer une divinité, un « bâton de secours ». Les astres et les forces de la nature furent ainsi nos premières croyances. Si celles-ci peuvent aider l’homme à se donner une raison d’être et à pouvoir faire la part du son de l’ivraie, alors il est plus simple de croire : « Croyons, enfants de la planète ! ».

    Il n’est donc pas étonnant qu’un soir, un Azéri d’origine indo-européenne se soit prostré devant ce feu millénaire et ait enfanté le zoroastrisme.

    Le temps de digérer sur une marche d’escalier toutes ces envolées lyriques et mystiques que se dresse devant moi un incroyable orchestre composé de trois personnages qui en paraissent vingt. Le premier, à la fine moustache noire, tient en main une kamanja, un curieux violoncelle reposant sur une sorte de chevalet de 10 centimètres de long qui le fait pivoter sur le genou du musicien. L’archet reste horizontal dans ses va-et-vient et de la rotation de la kamanja naît la musique. Le second manie un tambourin et le troisième un rebab, instrument à trois cordes frottées, dont la table d’harmonie est en peau.

     

    C’est un véritable concert de Mongham dans le cadre étrange de la montagne de Feu !

    Les poèmes sont du XVIe siècle, du temps du grand poète Mohamed Fizuli (1498-1558). Réfugié à Bagdad au sein d’une communauté azérie, il est le seul poète aux trois diwans : en perse, en arabe et en azéri. D’autres poèmes lyriques sont d’Elias Nezami (1120-1181). Son épopée romanesque « Leyla et Madjnun » l’a fait passer à la postérité. La voix de ces magiciens emportée par la flamme millénaire caresse la lune qui nous semble soudain plus proche. Ce concert de musique classique fera de cette nuit un moment unique de la vie. La nuit !

    Feu sacré

    Mais d’où vient ce feu ? L’explication est fort simple : dans cette région du Caucase, au bord de la mer Caspienne, le pétrole est à bout de champ et le pays en produit 50 millions de tonnes par an. Morts il y a des dizaines de milliers d’années, ils ont formé d’importances couches sédimentaires. La longue dégradation bactériologique des organismes aquatiques, animaux et végétaux, a engendré ce pétrole. La roche mère a englobé ces précieux hydrocarbures et c’est dans ses profondeurs que l’on ira extraire le pétrole et le gaz naturel. Mais ici, nul besoin d’exploitation car le gaz s’est imprégné dans un schiste bitumeux enfoui dans de larges couches d’argile. Cette roche étant à fleur de sol, la libération du gaz est pour ainsi dire automatique.

    Quant à la provenance du feu, elle est accidentelle : par une nuit d’hiver noire et sordide, Zeus et Jupiter se disputaient leurs empires grec et latin. Vulcain en arbitre des Cieux fit soudain éclater la foudre. Un million de volts suffirent largement à embraser ce gaz naissant. Il y a 6 000 ans, d’une étincelle de foudre est né ce feu éternel.

    Tout ce que je savais des Zoroastriens, je l’ai appris avec mon fils Zied, âgé de 12 ans, lors de notre voyage en Iran, en 1998.

    Le zoroastrisme s’y est implanté entre 224 et 642, époque sassanide durant laquelle Ardeshir, un antigrec notoire, rétablit la langue des Achéménides ou Zoroastriens.

    Zoroastre (630-550 av. J.-C.), connu dans la Perse antique sous le nom de Zarathoustra, est issu d’une famille de chevaliers, les Spitama, à une époque précédant celle des rois achéménides.

    Il eut, jeune, des révélations d’Ahura Mazda, le « Seigneur Sage » et lutta durant des années contre les prêtres des cultes établis. Il condamna les rites orgiaques associés aux sacrifices traditionnels offerts aux Dieux mais voulut perpétuer la tradition du culte du feu.

    La profondeur intellectuelle de son système a eu une influence notable sur la pensée occidentale.

    Platon, Aristote et d’autres penseurs grecs ont manifesté un grand intérêt à l’égard de ses doctrines. Dans le Manuel de discipline trouvé parmi les rouleaux de la mer Morte, l’évolution de la démonologie (étude des démons), de l’angélologie (étude des anges) et de l’eschatologie (étude des fins dernières de l’home et du monde) judéo-chrétiennes porte l’empreinte de ses idées. Pour lui, sans réfuter l’existence des divinités traditionnelles du panthéon pers, seul Ahura Mazda est digne de vénération.

    Les principes fondamentaux du zoroastrisme reposent sur le culte de Ahura Mazda, le « Seigneur Sage » ou le « Maître du savoir » (credo monothéiste) et sur un dualisme éthique opposant Vérité (Asha) et Mensonge.

    Zoroastre attribue le bien aux émanations de Ahura Mazda - Spenta Mainyu (L’Esprit Saint, la force créatrice) et les six entités qui l’assistent : Bon Esprit, Vérité, Pouvoir, Dévotion, Santé et Vie – et le mal à Angra Mainyu ou l’Esprit diabolique et ses assistants.

    Les Gathas et le Haptanghaiti

    Zoroastre consacre les Gathas au culte de la Sagesse et ses émanations dont Asha.

    Le Haptanghaiti ou « Rituel des Sept Chapitres » se réserve au culte du dieu Ahura, protecteur de Asha et évoque des divinités de la nature (nuages, pluie et eaux) ou autres (dieu du Feu) que l’on peut rapprocher de celles des textes religieux indiens, les Rig-Veda, les ancêtres des Perses et les envahisseurs du Nord de l’Inde partageant la même origine.

    Le Yasna et le Videvdat

    Outre les Ghatas et les « Sept Chapitres », le grand texte de sacrifice rituel, le Yasna englobe un ensemble d’hymnes de facture plus tardive rendant hommage à diverses divinités dont Anahita la déesse des eaux et de la fertilité.

    Le Videvdat, la dernière partie de l’Avesta, rédigée après la conquête de la Perse par les Grecs, au Ive s. av. J.-C., réunit l’ensemble des prescriptions et des interdits de la loi relatifs à la vie quotidienne : celles, par exemple, concernant l’exposition des cadavres, la protection accordée aux chiens ou le massacre systématique des reptiles.

    C’est en Perse que s’est forgé l’âge d’or de cette doctrine. Darius 1er fut probablement le premier roi à adopter le zoroastrisme. Son règne et ceux de son fils Xerxès 1er et d’Artaxerxès 1er ensuite furent marqués par une synthèse des enseignements de Zoroastre et du polythéisme antique. La nouvelle dynastie des Sassanides (226-651 ap. J.-C.) l’institua religion d’Etat. La Perse s’islamisa à la suite de la conquête arabe au VIIe s., seules quelques communautés de Gabars ou guèbres (20 000 aujourd’hui) dans les régions montagneuses du Yezd et du Kem restent fidèles au zoroastrisme. De nombreux adeptes ont émigré vers l’Inde et vivent aujourd’hui dans la banlieue de Bombay, récitant la liturgie de l’Avista et conservant les feux sacrés.

    Adieu Bakou

    Les dernières notes de musique se meurent dans le crépitement du feu et les ondulations du silence imprègnent les hôtes encore hypnotisés par ces mélodies des siècles passés. Un verre de thé bien chaud et bien pers ranime les esprits et nous ramène à nouveau vers la civilisation de l’Azerbaïdjan.

    Ce grand peuple colonisé tantôt par les Perses, tantôt par les Russes, affronte aujourd’hui le conflit du Haut-Karabakh. C’est un autre Kosovo fabriqué de toutes pièces avec une enclave arménienne en territoire azéri. Tout comme en Tchétchénie, la Russie ne peut se passer des 50 millions de tonnes de pétrole produit annuellement par l’Azerbaïdjan. L’Arménie voisine est un peu le dindon de la farce en allant au feu pour récupérer le Haut-Karabakh.

    Et dire que cet Azerbaïdjan pourrait devenir un jour le « Koweït du Caucase » ! Mais que le chemin est long ! Et combien de mentalités sont à changer ! Quel serait le héros qui introduirait éthique, civisme et démocratie dans un pays où tout est prêt pour le décollage ? Avec un salaire moyen de 20 dollars américains par mois, il ne reste plus que les mille et une combines pour survivre.

    Las de ces réflexions, nous rejoignons notre gentleman ambassadeur pour reprendre nos véhicules et dire adieu aux Zoroastriens qui nous ont permis de vivre une nuit exceptionnelle.

    La route du retour nous semble différente. Du regard nous saluons ce paysage désertique sans trop savoir si nous sommes au XIIIe ou au XXIe siècle, si Zoroastre est encore là et si ce feu brûlera encore dans 6 000 ans. Dieu que la vie est étrange !

    Le voyage restera toujours le creuset de la magie, du rêve et de la réalité !

     

    Rached Trimèche

    www.cigv.com

     

  • La Dame du bougainvillée, faibles hommes si vous saviez...

    CETTE PETITE NOUVELLE TOURNE AUTOUR D'UNE FEMME! IL RESTE AUX LECTEURS QUE VOUS ÊTES D'IMAGINER LA DERNIERE REPLIQUE DE CETTE "DAME DU BOUGAINVILLEE" FACE A   "L'HOMME DE LA BAIE DE CARTHAGE"... A vous de jouer mesdames et messieurs! Keep going! Merci!

     

               Il fait chaud. Très chaud. 39 degrés à l’ombre. Ce beau restaurant en front de mer, sur les collines de Carthage est pourtant bien aéré avec sa vaste terrasse ombragée.


    Il est 13H30, le restaurant est plein, à l’exception d’une seule et unique table sous un géant bougainvillée blanc.
    Soudain, voilà que tous ces messieurs, clients du restaurant, délaissent leur poisson frais, la fourchette suspendue et essayent de retenir, avec pudeur, leur émoi.
    Elle est grande, jeune, belle et surtout bien cachée sous de larges lunettes noires, à moitié habillée d’une micro jupe de cotonnade blanche et d’un chemisier jaune canari bien décolleté.
    La table au bougainvillée devient rapidement le point de mire de tout le restaurant avec cette jeune dame qui ne cesse de gigoter, de se tortiller et de lire en tous sens, le menu du jour. Ses doigts effilés préservent une merveille : des ongles longs, coupés carrés et recouverts de vernis blanc. Ce détail esthétique prononce sa classe, son raffinement et son goût des belles choses.
    Un jeune homme, la trentaine naissante, piaffant d’impatience et retenant avec peine son afflux d’adrénaline débordant, se lève gauchement et se dirige vers la dame du bougainvillée. Il l’accoste sans vergogne et lui dit :


    -  « Madame, vous êtes seule depuis une demi-heure avec votre escalope pommes frites à moitié calcinée et vous ne remarquez même pas cette belle Méditerranée qui porte le souvenir des éléphants d’Hannibal ».
    Sans même le regarder, la dame continue à découper sa viande.


    - « Permettez, Madame, que je partage votre table. On aura tous deux meilleur appétit et cela sera moins triste pour nous ».
    Soudain c’est la catastrophe ! La fée magique se transforme en une furie qui se dresse d’un bond et qui lui dit :


    - « Mais enfin, pour qui me prenez vous Monsieur, pour une prostituée? Vous êtes un ignoble, un voyou et je suis surtout fâché contre la direction de ce restaurant qui permet l’entrée à de pareils énergumènes. Allez chercher ailleurs votre genre de femmes! »


    Interloqué, pâle et muet, il reste figé sur place. A reculons, il regagne sa table sous les regards réprobateurs des autres clients. Il ne savait ni quoi faire ni où cacher sa gêne. Il ne comprendra donc jamais les femmes !
    Pourquoi une si belle créature peut-elle agir ainsi ?


    Buvant sa honte à petites gorgées, il contemple sa viande refroidie! Tant de plats se mangent « à froid », mais comment se vengera-t-il? Les ténèbres de Carthage dévoilent soudain un visage accroché à l'écume qui vient mourir langoureusement sur la muraille du restaurant. Elle est là. La majestueuse et énigmatique Salambô quittant les bras d'un mercenaire et plus tard ceux de Gustave Flaubert. Le film est rapide: « Lors de la première Guerre punique, qui a opposé Rome à Carthage, cette dernière a fait appel à des mercenaires de différentes nationalités. C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Amilcar. Les mercenaires rentrés de Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d'Eryx. Ils mangeaient et ils buvaient en pleine liberté. »


    De son côté, la dame du bougainvillée blanc était perdue dans ses ténèbres.
    Mauvaise conscience pressante, elle réalise son geste stupide et trouve rapidement un début de solution, en repensant à l’histoire de la déesse Tanit et de l’héroïne Salambô, sur les ruines de cette même cité punique, Carthage. Elle retrouve dans les tréfonds de sa mémoire, la tactique de l'héroïne: « las d'attendre d'être payés, les mercenaires qui ont combattu Rome pour le compte de Carthage se sont révoltés. L'un d'entre eux, Mâtho le Libyen, réussit à s'introduire dans le temple de la ville et à voler Zaïmph, le voile sacré protecteur de Carthage, de la déesse lunaire Tanit, dont dépend, croit-on, le destin de la ville ».


    Pour sauver Carthage, on fait appel à Amilcar Barca. Sur les conseils du grand prêtre Schahabarim, Salambô, la fille d'Amilcar, se rend au camp des mercenaires, se donne à Mâtho et parvient à dérober le talisman,le voile de Tanit…
     

    Mais accepter la compagnie de l’intrus de ce restaurant est exclu. Il n’y a point de talisman à récupérer…Que faire pour réparer l’affront fait au jeune homme ?
    Elle se déploie langoureusement, ôte ses lunettes faisant paraître ses beaux yeux verts et s’avance conquérante vers sa jeune proie blessée.
    Derechef, elle tire une chaise et s’assoit face à lui :


    -                          « Monsieur, je vous est peut-être choqué par mes propos, veuillez m’en excuser». La dame aux beaux ongles blancs reprend son souffle, baisse les yeux et confesse timidement la chose suivante :
    -                          « Monsieur, j’étais dans mes ténèbres de Phénicie et de Carthage. De mère libanaise, j’ai décidé de découvrir mon pays maternel la semaine prochaine, malgré la guerre et l’insécurité. J’étais dans mes rêveries voyageuses, entre Tyr et sa fille Carthage, entre mes oncles inconnus et ce Liban mystérieux, quand vous osâtes interrompre mon voyage pour me parler de repas refroidis ». Le fixant droit dans les yeux, elle lui lâche une dernière phrase : « Bon appétit Monsieur ! ». Elle regagne fièrement sa table et retrouve ses pommes frites.

                                                       


    Ne comprenant rien à ce verbiage et se sentant toujours frustré et refoulé, il broie sa mésaventure et l’échec de son approche. Il persiste et signe. Il a déjà trouvé sa réplique. Il se lève énergiquement et se dirige tête haute vers la dame du bougainvillée. Fou de rage, face à elle et à tu tête, il lui crie :

                                                       


    -         “Mais vous êtes folle, vous êtes cinglée. 500 dollars pour envisager la... soirée avec vous?”

     


    Rached Trimèche

    (Juin 1995)
    www.cigv-online.com

     

                                                                                      

     

     

     

  • TRAIN POUR LE ZIMBABWE

    UN WAGON DE 40 PLACES ASSISES

    occupé par 80 dames dont la plus svelte ...

    Messina (février 1998). Pretoria, Pietersburg, Mopane et enfin Messina à minuit, après douze heures de route dans une minuscule voiture japonaise blanche. Après les gorges et les montagnes, les vallées et les forêts, nous arrivons avec une certaine anxiété à la frontière du Zimbabwe où l’officier de police de service nous refuse toute entrée nocturne avec notre véhicule de location. Le pays est en guerre civile et les voitures de touristes sont les malvenues.

    Nous voilà contraints de faire marche arrière sur trois kilomètres pour arriver au cœur de Messina, face à un restaurant arborant une gigantesque enseigne lumineuse rouge. Sommes-nous au cœur de l’Europe ou au nez du Zimbabwe en guerre ? La surprise s’accentue à l’entrée du bar-resto. Une voluptueuse blonde de 1.75m à la folichonne queue de cheval nous reçoit à bras ouverts comme de fidèles clients et nous propose la table 42. Elle retrouve par atavisme, son verbe allemand et nous offre aussitôt de grosses chopes de bière blonde. La lecture du menu est des plus surprenantes. Je retrouve mon auto-stop d’Argentine, de Buenos Aires à Iguaçu, mes vingt ans et mon féroce appétit carnivore. C’est que la carte propose des steaks au poids, de 150 g (pour le régime) à 600 g (pour les bonnes fourchettes), accompagnés de frites croquantes.

    La soirée continue au son d’une voluptueuse musique qui valse entre le reggae, le jazz et le techno. La clientèle est à majorité féminine et dépasse rarement les vingt ans. Les « constructeurs » de l’Afrique du Sud, Anglais, Hollandais, Allemands et autres, ont engendré cette belle jeunesse qui n’hésite pas à enfourcher tour à tour ordinateurs, pelles et pioches pour garder ce pays-continent comme un fleuron de l’Afrique australe.

    Le pragmatisme des autochtones saura-t-il éviter l’émigration de cinq millions de Blancs et parviendra-t-il à les sécuriser et à leur expliquer que l’Afrique est certes aux Africains, mais que les pionniers constructeurs sont également chez eux dans le cadre d’une saine collaboration ?

    Il restera à vaincre, chez les Noirs, prés de 40 % de taux de chômage et à instaurer la gratuité de l’enseignement et des soins médicaux. L’épée de Damoclès est hélas en cette année 1998, la haute criminalité. Durant mon périple de 3 076 km de route sud-africaine en voiture de location, j’ai vécu et affronté une dizaine d’aventures-mésaventures où les fameux «guns», ces gros pistolets, me frôlaient le nez.

    Je repense à l’hospitalité matinale de cette jeune femme médecin radiologiste résidant face à l’Ambassade de Tunisie à Pretoria. Il n’est que 6h30 du matin. La jeune médecin est déjà en train d’astiquer ses machines performantes et me raconte, en essuyant de chaudes larmes que, trois semaines auparavant, son père et sa mère furent « flingués » dans leur lit par un jeune Noir inconnu qui prit la fuite aussitôt. Sans raison. Sans vergogne. La conclusion de la charmante dame est la même que celle de dizaines de personnes blanches que j’ai interviewées. Le 1er janvier 1999 dotera l’Afrique du Sud d’un nouveau gouvernement, post-Mandela, et tout se jouera à quitte ou double, à partir ou à rester.


    FRONTIERE OUVERTE

    De l’autre côté de la barrière, il faudra certes oublier les affres de l’apartheid qui se résumait à enclaver des Noirs dix fois plus nombreux que les Blancs dans les ghettos sordides et isolés. Il s’agissait de concrétiser un développement parallèle des races. Telle est l’essence de l’horrible apartheid. L’Afrique du Sud devenait semblable à l’Australie, au Canada ou à la Californie, et les pauvres Noirs enclavés continuèrent à végéter dans leurs ghettos. Trois siècles durant.

    Et si la bouteille était à moitié pleine, et si l’on profitait de cette structure et infrastructure de pays-continent pour travailler ensemble et faire de ce pays, le phare de l’Afrique australe qui sera un jour le pendant du Maghreb émergeant, et sauver ainsi l’Afrique entière de ses endémies, pandémies, érosions, invasions, corruptions et maux divers.

    Un rayon de soleil matinal s’engouffre à travers de légers rideaux mal fermés pour inonder notre «case» de lumière écarlate. A l’orée de Messina, nous avions découvert ce précieux bungalow implanté dans un gigantesque camping tropical. Une drôle de voix mi-humaine, mi-surnaturelle m’attire vers la forêt. Là, au pied d’un jeune baobab d’à peine 70 ans, une forte dame blanche serrée dans un short rouge et un tee-shirt jaune parle à son épaule. En me frottant bien les yeux, je découvre avec stupeur, cet être vivant de 15 cm qui vit jusqu’à 80 ans et qui apprend plus de 1500 mots. Juché sur l’épaule de sa maîtresse, Jacquot, ce perroquet gris du Gabon, est heureux comme un pape et bavard comme une pie ... Trêve de balivernes, le Zimbabwe nous attend.

    Nous sommes à 15 km de la frontière et il n’est pas question de prendre notre voiture pour y aller. Notre petite Toyota restera en sécurité devant la loge du gardien du camping. En auto-stop, nous arrivons au centre de Messina. Le raisonnement est simple. Il s’agit de passer une double frontière et un tas de formalités douanières et policières, et l’on risque d’y perdre la journée. Le train serait peut-être l’idéal pour traverser cette frontière problématique. Pour l’équivalent d’un seul dollar US, un minuscule billet de train nous donne accès à la première classe. L’homme reste toujours cet animal guidé par ses souvenirs ainsi que par les sons et les odeurs du passé. L’odeur qui flotte dans le premier wagon me ramène dans mon vieux train de Cuzco à Machu Picchu des années soixante-dix, au cœur de la Cordillère des Andes, sauf que les Indiens incas du Pérou font ici place aux grosses «mamas» africaines.

    Imaginez un wagon de quarante places assises peuplé par 80 dames dont la plus svelte ne pèse que 100 kg. Imaginez sur les genoux de ces jeunes dames souriantes, une ribambelle d’enfants bedonnants, aux jambes filiformes. Imaginez des dizaines de valises rafistolées et pleines à craquer, des dizaines de pots en plastique attachés par une grosse ficelle, des dizaines de boîtes multicolores éventrées. Imaginez encore, la majorité des passagères de ce wagon-nanas en train d’attaquer avec fougue et passion la cuisse d’un poulet qui sort d’une sauce noire et sirupeuse. Imaginez enfin, ces bouts de chair qui se baladent à travers les sièges avec une odeur que rien ne peut masquer.

    Certaines de ces dames ne perdent pas le nord et, entre deux gourmandises, griffonnent avec un bout de papier jaune cartonné, des chiffres bizarres et bien alignés. C’est que nous sommes en première classe et que ces passagères sont nanties. Ces dames commerçantes rentrent d’Afrique du Sud, riches de leurs emplettes variées qu’elles iront vendre dans leur pays, le Zimbabwe. Epices, tissus, objets en plastique et colifichets de tout poil, forment le gros de leur trésor.

    Ne pouvant supporter ces bruits, ces odeurs et cette saleté, nous quittons le train pour retrouver le quai aéré, et c’est en marche que nous reprenons ce même train pour profiter au maximum du grand air de la gare. « Miraculu miraculus », le train démarre sans peine et arrive déjà à 400 m de la frontière.


    LA SOURIANTE POLICIERE

    Agrippés à une fenêtre, nous attendons l’arrivée des policiers qui doivent vérifier nos papiers. Dix, quinze, vingt, trente, quarante minutes d’attente, en vain. Plus aucun espoir. Il ne reste plus qu’à quitter le train en pleine brousse pour continuer à pied. A peine les pieds posés au sol, que ce sympathique receveur du train en chemise presque blanche, se transforme en véritable cow-boy avec un énorme magnum qu’il nous pointe entre les yeux. Il est interdit, nous apprend-il, de quitter le train car l’arrivée des douaniers est prévue dans trois heures et que leur visite durerait plus de deux heures. Que faire ?

    Le salut arriva comme par magie. L’étoile du Voyageur renaît de ses cendres et une main occulte ne cesse de le protéger. Cette étoile filante porte un beau béret bleu, une chemise blanche immaculée et un sourire ravageur. Elle arrive au volant d’une grosse camionnette Volkswagen qui s’arrête pile face à notre fenêtre. L’occasion est trop belle pour être ratée. Penché hors de ma fenêtre, je lui intime presque l’ordre de nous attendre et je saute du train pour être déjà sur la banquette de sa camionnette. Doris, qui n’est rien d’autre que le chef de la police de la frontière sud-africaine, éclate de rire et comprend mon désarroi : « you have to wait, no? It‘s too long ». La magie du voyage fera de Doris une alliée inconditionnelle. La traversée du no man’s land, l’arrivée au premier guichet de police sud-africaine, les formalités de sortie et enfin la douane. Tout cela est fait dans la joie et l’amitié, en vingt petites minutes.

    On reprend la voiture de police pour traverser la seconde partie du no man’s land qui pénètre le Zimbabwe. Soudain, un énorme ouvrage métallique vert câpre stoppe notre véhicule et met un terme à notre voyage avec la belle Doris. Son index pointe vers ce pont qu’il nous reste à traverser pour pénétrer le Zimbabwe. C’est à pied que les 800 m du pont sont franchis. Un voyage de dix minutes qui dure une éternité. Des dizaines de jeunes singes sans queue, pareils à ceux de Gibraltar, nous assaillent de toute part. Sans mordre ni griffer, ils nous envahissent de cris stridents. Leur valse est enivrante et leur spectacle passe rapidement du sordide à l’ivresse. En jetant un furtif coup d’œil sous le pont, nous découvrons avec stupeur, dans le lit d’un fleuve sans eau, une centaine de vieux singes réfugiés dans les restes d’une mangrove asséchée.

    Les passagers-voyageurs portent tous d’énormes cabas. Ce pont est réservé uniquement aux piétons et c’est le sens inverse qui est le plus fréquenté. C’est plutôt l’heure de quitter le Zimbabwe que de s’y aventurer en touriste. Notre voyage frontalier touche à sa fin avec cette immonde et lugubre guérite de police. Allez leur expliquer que vous n’avez pas besoin de visa pour entrer... Une heure de palabres à l’africaine, sans arbre à palabre. La seconde formalité douanière est beaucoup plus rapide et nous voici déjà dans une micro- banque climatisée pour changer un beau billet vert.



    RHODES ET RHODESIE

    Ce pays a pourtant un passé glorieux. Il porta dès 1923 le nom de Rhodésie du Sud en hommage à Cecil Rhodes (1853-1902), et était également appelé «Maison de pierre» ou « Forteresse ». Entre le Zambèze et le Limpopo, sur 390 245 km², soit prés de quatre fois la superficie du Portugal, vivent quelque 13 millions d’habitants qui doubleront en l’an 2025. Harare, l’ex-Salisbury, abrite à elle seule plus d’un million d’habitants, juchés à 1 480 m d’altitude.

    Les Bushmen venus du désert de Kalahari et les Bantous venus du Sud du Soudan et du bassin du Congo peuplaient le Zimbabwe 10 000 ans av. J.-C. Les empires se suivent et ne se ressemblent pas. Des rois galla, zoulou, chaka et matabélé jusqu’à l’arrivée du missionnaire David Livingstone qui découvre, en 1855, les chutes Victoria. Un protectorat britannique est établi en 1891 et mue en autonomie interne de la Rhodésie su Sud en 1923 pour arriver enfin à l’indépendance du pays en 1965. Quinze ans plus tard, le pays prendra le nom de Zimbabwe. Aujourd’hui, une majorité de Blancs n’ont toujours pas quitté le pays et vivent en symbiose parfaite avec les autochtones africains.

    Avec un PNB (Produit National Brut) de 580 US$/an, soit près du quart de celui de la Tunisie, le Zimbabwe est classé 178e sur 244 pays. La bourse du tabac, tout comme celle des éléphants dont l’ivoire est vendu légalement par l’Etat pour juguler le nombre croissant des pachydermes, restent une source économique appréciable, à côté des mines d’or et du nickel qui classent le pays respectivement aux 14e et 13e rangs mondiaux.

    Malheureusement, le Zimbabwe est le pays d’Afrique le plus touché par le sida avec une population au tiers séropositive. Robert Mugabe revient aux affaires à la tête de cette ancienne Rhodésie du Sud tombée en décrépitude depuis des années et agitée par un soudain soulèvement passionnel dû au doublement au prix de l’essence et du pain. Une véritable guerre civile. Les 30 000 kg d’or de production annuelle et la production agricole enfin excédentaire (maïs, millet et tabac) sauront-ils freiner l’incroyable mortalité infantile de ce pays et le rattacher à la vitesse de croissance de la glorieuse Afrique du Sud ?

    Un premier auto-stop suivi d’un second, d’un troisième et d’un quatrième nous font parvenir à notre point de chute, le «Lion and Elephant Motel» à Bay Bridge, également recommandé par notre restauratrice allemande du premier soir à Messina.

    Notre première collation a lieu sur la terrasse de notre hôtel. La terrasse est à vrai dire un jardin et le jardin est en fait un parc. Un croque –monsieur anglais et une bière bien fraîche sont les bienvenus à notre table. Soudain, voilà que mon toast bien chaud quitte mon assiette pour flotter quinze centimètres plus haut. Ce toast-voyageur ne s’arrête pas en chemin. Il continue à monter : cinquante centimètres, un mètre, deux mètres, trois... Est-ce la fatigue, est-ce la myopie ou serait-ce une histoire de lévitation au Zimbabwe ? Rien de tout cela. Ce n’est qu’une girafe apprivoisée qui voulait tester le toast!

    Suivent quatre jours de vadrouille à travers un pays abandonné des Dieux, malmené par les hommes, et pourtant doté d’une des plus belles réserves animales de la planète et d’une flore sans pareille. Adieu Zimbabwe et à un prochain périple vers les chutes de Victoria pour vivre avec passion, les profonds secrets de ta nature si belle et si généreuse.

    Rached Trimèche

    www.cigv-online.com

  • VOYAGER EST UN METIER



                              VOYAGER AUJOURD'HUI...


    Chassez-le, il revient au galop. Le père de l’homme. L’enfant.
    Cet état ou esprit d’enfant éternel est l’essence même du voyageur. En voyage, il redevient cet enfant qui n’a de cesse de découvrir, de questionner et de s’étonner. Carpe Diem plus que jamais ! Peu de cas sont similaires. Les cartes, le sport, le jeu en général et la drogue sont souvent plus que des passions, des manies ou même des maladies. Le voyage, le vrai est encore plus tenace et garde toutes ses traces d’amour contrairement à la chanson d’Yves Montand où « la mer efface sur le sable, les pas des amants désunis… ». Rien ne s’effacera de la mémoire du Voyageur ! Il vivra son voyage en trois étapes, avant, pendant et après ! Sa drogue, cette boulimie dite « dromomanie » le pousse même à vouloir repartir dès son retour au bercail !



    Mais quid du voyage ? C’est la grande école de la vie. Le Voyage forme l’humain, le rend tolérant, élargit ses horizons, aiguise ses sens et surtout le rend plus heureux !

    Les touristes ou les vacanciers juilletistes et aoûtiens ne sont pas encore des voyageurs. Ces derniers sont dans un monde quasi mystique et surprenant ! La poésie et l’amour tissent leurs destins et balisent leurs chemins.

    Trois principales catégories de voyageurs se présentent à nous : Ceux qui voyagent en groupe avec une agence de voyage et qui suivent un dieu Panurge, ceux qui passent des mois à préparer les détails des lieux à visiter et enfin ceux qui partent à l’aventure, nez au vent, pupilles dilatées et oreilles aux aguets !

    Ces voyageurs sont à la recherche de contacts humains, avides d’histoire, de culture et de géographie. Chez le voyageur-aventurier, le voyage devient réellement un métier. Tout impossible deviendra possible et toute difficulté sera une nouvelle bouffée d’adrénaline ! Et pour cause. Un grand voyageur qui souhaite continuer à sillonner le monde et à découvrir ses coins et recoins affronte aujourd’hui des dizaines de difficultés. La première muraille est épaisse et n’est pas chinoise, elle porte l’horrible nom de « 11 septembre » qui a définitivement coupé le monde en deux par un profond ravin appelé visa ! Sur les 245 pays du CIGV, seuls les citoyens d’une trentaine de pays (principalement ceux de l’OCDE) peuvent obtenir facilement un visa touristique et en sont souvent exemptés dans une centaine de pays du monde !

    Les autres Grands Voyageurs dont je fais partie auront à traverser à la brasse et à contre-courant cette terrible tranchée qui découpe le monde. En quête d’un visa. Je viens de passer 90 jours, trois longs mois, à solliciter un simple visa touristique pour le Groenland en m'adressant aux ambassades du Danemark dans deux pays et à trois consulats différents ! Le « niet » est poliment déguisé en « il faut encore attendre, on n’a pas de réponse… ». Il ne reste plus qu’à passer au plan B : Sri Lanka et Maldives où j’avais déjà entamé la procédure de visas…ou au plan C vers le Cap Vert et la Guinée Bissau…

    C’est ainsi que commence le métier de voyageur ! Il faut à chaque départ, préparer deux ou trois périples à la fois en tenant compte des critères suivants :

    1/ Quémander un visa auprès d’une ambassade située dans un pays tiers. Dans son propre pays on n’a en principe que 70 ou 100 ambassades résidentes. On possède rarement deux passeports et il est très dangereux d’envoyer son unique précieux passeport par poste à une ambassade.

    2/ Trouver le meilleur tarif avion ! On peut être deux à voyager dans le même avion et à payer la moitié ou le cinquième du prix de l’autre. Et légalement. C’est qu’un avion, à part ses classes dites First, Business et Eco, est encore subdivisé en 26 classes variables, telle la V de Victor, la N de Novembre, la T de Tango, la H d’Hôtel, la M de Mike ou la G de Golf par exemple. Chaque classe a un quota et un prix. Viennent encore Internet et les fameuses « last Minute » qui en Amérique et en Europe vous vendent un billet à 99€ au lieu de 1240€…Reste enfin les promotions des compagnies aériennes que l’on découvre par ses cartes privilège, par ses Emails ou par son agence de voyage si elle se veut coopérative ! Grâce à une grande compagnie européenne, j’ai souvent voyagé très loin, en classe affaire, avec un de mes enfants qui obtenait alors un billet gratuit, durant la courte période d’offre aérienne ! En bout de voyage on récoltera enfin de précieux miles qui vous offriront en temps voulu des billets gratuits ! Voyager est un métier dit-on…

    3/ Trouver enfin le temps de partir, de s’enfuir, de s’évader tout en s’assurant que le travail et le foyer continuent à bien fonctionner. Après plus de 4400 avions et 181 pays visités, je commence à peine à apprendre la recette…

    4/ Commence enfin l’Aventure. La vraie. Le plaisir de la découverte, l’imprévu, l’autochtone et les multiples surprises quotidiennes. Cela élimine la lecture préalable de prospectus, livres et brochures qui, par contre, lus après le voyage, seront avalés et parfaitement absorbés !

    L’aventure repose sur trois principes de base: maîtriser plusieurs langues étrangères, être très rapide dans ses réactions et offrir à l’Autre son sourire et son amitié. Les armes de la Paix !

    Imprégnés de ces ingrédients de voyage, on redevient « l’éternel enfant » extasié par une fleur, un mot, un verre d’eau ou une choppe de bière, une voix, une statue ou un petit colibri rouge découvert au soleil levant, sur un buisson, en bord de mer !

    Dès l’arrivée, il faudra rapidement trouver un gîte au meilleur prix et avec le maximum de prestations pour déposer rapidement son baluchon voyageur et partir de suite à la conquête du pays nouveau ! Toute personne est apostrophée et le nouveau cercle d’amis s’élargira à vue d’œil et nous permettra bien vite de pénétrer us et coutumes de l’aborigène ! Bien conseillé par l’habitant, on trouvera le fil d’Ariane pour aller à la découverte de tel ou tel endroit ! Les minutes se suivent et ne se ressemblent pas et la fatigue fait place à l’extase, à l’amitié et à l’amour ! Des dizaines de petites surprises transformeront la journée en année lumière et doteront le voyageur de bonheur et de joie de vivre ! Si pour le Bouddhisme le nirvana est la perte de tout bien et de tout karma, afin d’atteindre la plénitude totale, la perpétuelle extase du Voyageur le fait voyager dans une autre galaxie où tout va si vite que la tête tourne, tourne et tourne encore avec toutefois un instinct de survie acerbe et un contrôle constant de chaque mouvement ! Cette dualité de surveillance et de laisser aller, d’état de dilétante et de furie, de rires et de pleurs, de joie et de recherche font du voyageur un être comblé qui a cette bizarre impression de marcher sur l’eau, d’aimer tout un chacun, de ne plus contrôler son flux d’adrénaline et de tourner soigneusement les pages du livre sacré de cette école de la vie qui mène droit au bonheur et à la Paix !



    Reste le fait majeur : le Voyageur averti découvre avec passion la culture de l’Autre, son patrimoine, son histoire, ses us et coutumes et ses traditions ! Le monde est vaste et ses cultures sont souvent très différentes ! Le voyageur ne parlera pas, lui, de « choc de culture » mais de « choc des ignorances» ! Tel, connaîtra de l’autre sa langue, ses traditions, son bon vin et même la couleur du cheval de son roi Henri IV…l’autre, en retour, ne saura rien ou presque rien sur le premier ! Dans l’habit de voyageur, chacun essayera de pénétrer la culture de l’autre et de diminuer le mur d’ignorance et d’intolérance ! Car connaître c’est déjà reconnaître !

    C’est ainsi que le Grand Voyageur deviendra à son tour narrateur, « travel writer », chroniqueur, « passeur de culture » ou journaliste pour offrir au monde les clefs des arcanes et des labyrinthes d’un pays, dont il deviendra l’ambassadeur culturel ! Témoins vivants de l’histoire d’un pays, les voyageurs endosseront enfin l’habit du missionnaire culturel.

    Voyager est certes un métier, un sort, souvent une croix à porter mais surtout une chance !



    Rached Trimèche

    www.cigv.com