SDF à SAINT BARTH Saint Barthélemy. (Avril 1994). Le côté inavoué du voyageur est peut-être ce côté masochiste qui se complait dans la détresse et dans la difficulté ! Sauf, que la destination Saint Baaaarth… comme ils disent (les touristes américains fortunés) ne devait sûrement pas être une source de problèmes et encore moins de détresse ! Allez visiter le nec plus ultra des Caraïbes, présage bonheur, détente et voire luxe ou luxure…
Tout est prêt. Une belle petite sacoche roulante d’une marque sympathique est achetée et bien vite remplie de belles chemises d’été, de confortables pantalons, d’un nœud papillon rouge, plusieurs souvenirs de l'artisanat tunisien (dont un superbe jasmin en ambre et en argent pour madame Pappert...) et surtout d’importants documents CIGV à remettre au club de Saint Barth pour sa solennelle remise de charte ! Le départ se fera via Paris. Pour savourer pleinement cette belle soirée française, je me laisse choyer par mes amis parisiens qui organisent un sympathique dîner-retrouvailles sur les Champs Elysées. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Semble-t-il.
A l’arrivée aux Champs, je glisse ma sacoche verte dans la malle blindée de notre voiture rouge et retrouve mes fidèles amis autour d’une belle table. Vers une heure du matin je demande, un peu à contre cœur, à partir pour rejoindre mon petit hôtel, proche de Roissy.
Soudain tout chavire ! Le temps s’arrête ! Le vacarme des voitures est silencieux et le bruit du silence diabolique ! C’est La catastrophe. La totale. Que puis-je ? Prier Bouddha ou penser très fort à lui. Rien. Rien ne semble être l’ébauche d’une solution. Mes amis m’entourent avec un visage livide et défait face à notre voiture rouge. Personne ne comprend rien et personne ne saura consoler le voyageur qui part vers Saint Barth !
Dans le monde du voyage le calme dans la tempête est souvent la seule porte de sortie. Combien de fois je fus pris dans une rafle militaire lors d’un Coup d’Etat, en Bolivie ou ailleurs ?
Je repense à mes égouts de Bamako, au Mali, où j'ai failli terminer mes jours, au lion du Kruger Park d’Afrique du Sud qui ne daigna même pas se faire un festin du voyageur ou encore aux « machettas » de Kigali, au Rwanda, qui refusèrent de faire un nouveau décapité en plus des 500 000 cadavres en 100 jours… Mais ici, nous sommes dans la dite ville lumière. A Paris. Pourquoi cette analogie ? Le hasard a des caprices que la raison ne sait comprendre et cette soirée parisienne tourne au vinaigre dans un lugubre commissariat de police. Visiter les couloirs et les caves des commissariats de Paris à 2h du matin vous éloigne d’une année lumière des Champs rutilants de notre début de soirée.
Au troisième commissariat, le jeune officier de police se veut plus clair et persuasif :
- « Monsieur, le coffre de la voiture rouge de votre ami est certes complètement défoncée. Son pare-brise a volé en éclat et sa boite à gants dévalisée, mais pour vous c’est un peu plus délicat. Je vois sur cette liste que vous avez prés de dix mille francs de perte entre vos objets personnels, vos documents et votre seconde porte monnaie que vous appelez « une poire pour la soif ». Nous gardons votre adresse et on vous écrira un jour à Tunis, si nous trouvons une trace de votre sacoche … et…ne ratez pas votre avion pour Saint Barthélemy, il se fait très tard !
Le lendemain armé uniquement du journal « Le Monde » sous les bras et d’une brosse à dents , dans la poche, offerte par Air France, je découvre, en SDF, les rivages de saint Barth. Sacré aéroport qui vous reçoit entre deux bras de mer, un petit cimetière et un micro tarmac. La décharge d’adrénaline est garantie et la découverte est sublime. Un îlot perdue au cœur de la mer des caraïbes, détaché de sa mère Guadeloupe et bercé par un atavisme suédois au nez d’un Oncle Sam qui a décidé d’en faire un escale pour les élus de Dieux et de la Bourse…
Il est là, le président Aloïs Pappert, tout nouveau à la tête du CIGV-Saint Barth, à qui j’aurai l’honneur de remettre demain soir, au prestigieux hôtel Karl Gustav, la charte que je n’ai plus…
Aloïs, armé de son pragmatisme allemand et de son ancienne entreprise cosmétique « Wella » comprend la situation, prend l’SDF en main et l’emmène derechef chez lui pour sabrer une bonne bouteille de champagne en signe de bienvenue… Isabelle son épouse me dépanne avec un pantalon blanc d’Aloïs pour aborder la plage du soir.
Suivent trois jours de grâce, de joie et d’amitié au sein d’un club hospitalier et passionné.
C’est la veille de mon départ vers les Vierges américaines, les USVI, je fais mes adieux aux Pappert sans avoir même le temps de bien laver et repasser le pantalon blanc que m’avait prêté Isabelle…
Dans mon petit avion, un vieux Piper PA 22-150 Caribbean des années cinquante, le commandant me propose de servir de copilote et surtout de tirer très fort sur une corde noire qui empêchera la porte droite de s’ouvrir.
Le voyage continue, mes idées sont omnibulées par un petit écrou qui quitte sa vis nourricière à pas de mouche. L’aile gauche tiendra-t-elle jusqu’à l’arrivée ?
Je m’évade vers cette autre soirée ou je fus intronisé par un Maître Canadien « chevalier de la méduse », à Saint Barth, et surtout à tous ces amis que je viens de quitter la larme à l’œil et spécialement aux 3 J, les trois Julien . Ainsi s’achève le passage d’un heureux SDF sur un îlot de rêve confié aujourd’hui au cher Bernard Dolphin.
Les îles Vierges américaines nous attendent pour une autre belle page de vie...