Cavalcade sur une jupe
J’avais vingt ans et des poussières. Aussi léger qu’un fétu de paille et aussi fou qu’une brindille au vent. C’était la glorieuse année ou j’avais décidé de faire mon plus long voyage en auto-stop. Un trajet supérieur à la circonférence de la planète, soit près de 40 000 km. Relier Acapulco à Terre de Feu en cavalant à travers les trois Amériques et en retroussant une jupe indienne : La Falta de la Cordilliera ou la Jupe de la Cordillères des Andes, jusqu’au fin fond du Chili, à Terra Del Fuego. Puis enfin, remonter vers Acapulco, en traversant cette fois la sauvage et dangereuse forêt d’Amazonie, plus vaste que l’Europe entière.
Je venais de terminer la première étape de ma cavalcade. La traversée du Mexique et de toute l’Amérique centrale, sans parler de ce dangereux et si passionnant pays, la Colombie , que vient de quitter notre amie Ingrid Betancourt avec la vie sauve. Etant complètement désargenté, je vivais avec un seul et unique dollar US par jour. J’économisais doublement en gagnant du temps et de l’argent en faisant également de l’auto-stop la nuit. C’est ainsi, que j’eus la folle idée de traverser l’équateur de nuit et de passer sans le vouloir, perdu dans les hautes montagnes, quatre jours et quatre nuits chez les indiens Jivaros, les coupeurs de têtes, les spécialistes de la « cabeza reducida » ou « têtes réduites ».
Toutes ces aventures passées et ces folies enjambées, me voici enfin à la frontière de mon rêve. Au seuil de la surprise de ma vie. A l’aube d’une découverte inouïe, au soir de la concrétisation d’un rêve d’enfant : prendre enfin le chemin de l’Inti Raimi ou la fête du soleil des Incas à Cusco au pied du Machu Picchu.
Frontière péruvienne
C’était sans compter sur la rigueur administrative des Equatoriens qui décidèrent ce soir-là de me fermer la frontière au nez à 20 heures précises ! J’ai eu beau déployer tout mon charme d’enfant voyageur, des sourires multiples et espiègles ainsi que des négociations sans fin pour arriver, à 21 heures, à une conclusion claire et nette : la frontière restera fermée!
Que faire devant la volonté d’une femme, d’un flic ou d’un douanier autrement que de s’incliner !
Il y a des choses dans la vie qu’il faut accepter sans broncher. Je refis quatre kilomètres à pied jusqu’au premier village frontalier. Face à la réalité et à l’obscurité, ma verve, ma fougue et mon courage aveugle font place à un instant de déprime passagère, chose qui m’est absolument étrangère.
Ici, au cœur du village de Macaro, je ne vois que ruines, chiens errants et absence de lune. Monter encore vers Loja et Cuenca me tente pour retrouver une ville et passer ainsi la nuit dans un cadre moins inhospitalier.
La raison l’emporte et je décide de passer cette nuit équatorienne au petit village de Macaro. Ruelles après ruelles, elles offrent toutes des égouts à ciel ouvert, des trottoirs défoncés et des caniveaux dévastés. Trouver un hôtel ici, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin. Soudain l’espoir. Une lumière. Une petite épicerie de quartier est encore ouverte. Un jeune indien en chemise rouge brique, aux cheveux tombant sur les yeux, somnole comme protégé d’un rideau épais. Je le réveille en toussotant et en grattant sur son comptoir en bois pourri. D’un geste vindicatif, il m’indique la troisième rue à droite où je trouverais pour un seul et unique dollar, un gîte sans couvert. Je continue ma recherche dans cette ville vêtue de noir. Aucune âme qui vive. Seul le silence est grand !
Pedro est ratatiné comme un parchemin et aussi muet qu’une carpe. Il encaisse fébrilement mon dollar fripé, me tend une vieille lampe de poche grise et me propose la chambre du premier étage : « la dos » ou la deux, soit au fait la seule et unique chambre de l’établissement ! Ma lampe de poche est au soir de sa vie, elle semble vivre l’agonie d’une Duracell.
Une lumière blafarde m’indique le trou de la serrure qui reçoit généreusement ma belle et lourde clef de fer forgé. Oh miracle! ça tourne ! Non pas le monde mais la clef !
La chambre s’ouvre. La raie de lumière de ma torche commence un voyage insolite pour me faire découvrir un simple matelas troué et crasseux à même le sol et une table de nuit à trois pieds. Qu’importe l’inconfort, j’étais heureux de pouvoir reposer mes jeunes os.
Un parquet ciré ?
Voilà, que la lumière de ma lampe de poche me donne l’illusion d’une chambre d’hôtel transformée en suite royale au parquet ciré...
Oh rage, oh désespoir, oh jeunesse ennemie, qu’ai-je donc fait au bon dieu pour m’offrir ce parquet lustré ?
Non, cela doit être la fatigue ou la fièvre du voyage qui me rend ce parquet lustré mouvant. En quelques secondes le monde cessa de tourner et je reculais de deux pas pour fermer la porte à double tour, descendre vers le tenancier de cette pension et lui remettre sa clef en lui lançant un amical Hasta luego et Gracias !
Tout est affaire de mémoire. Sans le vouloir et sans crier gare j’ai évité le pire, je me suis enfui. Le parquet lustré de ma pseudo suite royale n’était autre que des carapaces de grosses dizaines de cafards marrons, qui côte à côte sous le faisceau de ma lampe donnaient au sol cet effet rutilant. Le choc était si fort que je l’ai immédiatement occulté et je suis revenu à pied à la frontière péruvienne pour attendre l’heure légale de l’ouverture, soit 5 heures et demi du matin !
Vingt ans plus tard, maman appelle au secours. Ma maman chérie, l’enfant gâtée de la maison a un problème. Notre bébé préféré, notre Miss Amour a un gros problème. Elle découvre sous l’évier de sa cuisine un gros cafard marron ! Les deux jeunes dames de maison prennent également la fuite et c’est à moi qu’on fait appel, l’aîné de la famille, monsieur débrouille.
Oh mémoire, quels sont tes leviers, tes arcanes et tes mystères ? Moi qui voulais juste aider maman à écraser ce bout de cafard, je me vois pris d’un gros sanglot incontrôlable et d’une panique soudaine.
Cuenca, Loja, Macaro, Trujillo reviennent au galop. Là, sous l’évier de ma mère, ce misérable cafard a fait surgir de ma mémoire un souvenir enfoui, cette cavalcade en Equateur à la frontière du Pérou.
Un souvenir pourtant si profondément occulté qui ressurgit sans crier gare, celui de dizaines de cafards tapissant ma chambre d’hôtel de Macaro…
Allez demander à Freud, comment on devient cafarophobe ?
@suivre : CHASSE AU TIGRE!
Commentaires
attachante & bouleverante ton histoire rached
quelle richesseta vie
la jupe m avait fait penser à l amérique latine, mais c etait pas cette histoire là j en etais loin car brkkkkkkkk
j aime pas les cafards et je préfère le confort minimum
comme tu le sais jsuis pas un grand voyageur mais j aime te lire
petit devin fatigue...
bizzzzz
dans ce train du matin je devais petit déjeuner mais
j attends quelques minutes après avoir lu cela!
rien que l aéroport du Bengladesh m a fait fuir plus tôt que prévu tant il y avait de moustiques, et nous avons annulé des rendez vous pourtant j etais dans un bon hôtel alors là chapeau, jeune voyageur pour avoir fait tant de route à pieds ou en stopavec un dollar en poche par jour
est pas une phobie que j aurai eue, c est un psy à vie
si j avais vu tous ces cafards.. dans ma chambre...
bonne journée
je ne m attendais pas à cette phobie , mais pas du tout
et je peux te croire, il y a de quoi etre dégoûté à vie
que de merveilleux souvenirs ces voyages en stop ou à pied, avec un dollar en poche, irréalisables aujourd'hui à ce prix ! que de riches aventures ! qui forgent la personnalité et le recul sur la vie que tu dois avoir ne doit pas être commun ! ça se ressent d ailleurs dans tous tes écrits.
Heureux qui comme Ulysse...
waw
Il me faudrait vite un demi lexomyl pour dormir cette nuit
T'as fais comment Rached pour survivre à ce souvenir-revenu-réveillé?????
cher Rashed..
Que je t'envie ,que je t'envie...
Tes aventures me font vibrer! bon pas le cafard que tu as mis! j'espere ne pas le croiser en chair en en os de si tot!
Ta vie est siiiiiiii passionnante et toi , tu es incontestablement un homme captivant Rached!
Hate de te revoir!
Grosse biz des Maldives!
C'est de laaaa folie tes voyages...
je ne pense pas que tous les grands voyageurs à notre époque voyagent ainsii, car c est dans le minimum de confort, et sûrement avec plus d argent, ou cartes bleues, car sinon cela est impossible
mais des serpents et des bêtes on en rencontre encore, et en plus des personnes qui peuvent t agresser.
mais comment pouvais tu sortir d'un confort pareil, et affronter ce genre de situations ??? c est des questions que je me poserai toujours pour mes enfants aussi.
et les nouvelles pour tes parents sans internet,sans téléphone portable, sans facebook, tu peux les bénir des milliards de fois tes parents que je comprends des millliards de fois et des larmes coulent en t écrivant cela.
des personnes au delà d admirables !!!
cette folie des voyages, tu l as bel et bien, car de telles conditions à pied en stop, je suis sure ça existe plus, meme mon fils qui vit avec le minimum dit il , est pas ça du tout, car j ai été dans ces espèces de chambres en haut d une montagne avec un hamac devant sans porte, et j ai pas pu y rester plus qu'une nuit, et quand mes deux fils m ont dit je dors dehors dans le hamac, je regardais partout si j avais des moustiques au travers du voile- ( j en ai eu plus à Arles qu en Thailande) et j aipas supporté le bengladesh a cause des moustiques meme dans un bon hotel. et il se déplace en moto . quand il vit dans les villages avec des habitants c est son kif, et je me suis souvent demandée s'il n allait pas y rester.
Il y a des personnes qui pleureraient pour avoir son appartement duplex dans Paris, mais lui c est ....... direction les villages asiatiques..
Il ne faut pas être étonné, si tu as de telles réactions, envers un ou l autre de tes enfants lorsque qu ils s 'éloignent un peu trop en voyage même dans des situations de confort certain, si tu penses qu'ils vont etre agressés ou quelque chose de ce genre tout ce genre de souvenirs te remontant en mémoire, tu dois imaginer le pire!
je sais tu ne me liras pas jusqu'au bout, donc j arrete
et jsuis en larmes pour commencer cette journée
et je te souhaite une bonne journée
bises
bonne journée
À você:
Uma pequena homenagem...
Isso é ser amigo: é ouvir,
é confiar, é amar.
E amigos de verdade,
ficam para sempre em nossos corações.
merci Yosra!
http://www.yosraworld.com/index.php
@micalement
rached
bravo
article paru dans journal la presse du 14,
http://www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=28&news=75384
coucou§§
En te lisant ce matin outre le sentiment de repugnance qui ma donné la chair de poule une question m'a traverse l'esprit:
y aurait il pas un lien entre UNE aventure et le resurgissement de ces phobies:
Inconnu=voyage dans l'imaginaire=angoisse de l'étranger
Voyage=phobies
A+
salut,
j'adore ton blog toujours avec des histoires aussi croustillantes et passionnantes les unes que les autres.
Bravo!!
Cher Rached,
tu mérites bien l'appellation :
“L’homme aux semelles de vent” ;-)
grosses bises alsaciennes :-*
Huguette
me revoilà avec l'adresse de mon blog ,qui fete sa 1ère année .je compte sur ton don artistique pour me critiquer.
biz
emna
elgreco, tu devrais ecrire une pièce de théatre
Quel Narrateur!!!!!!
se sortir de toutes ces situations et rester aussi optimiste dans la vie, c est un trait de ton caractère
take care
have a good day
kisses
un rayon de soleil parisien pour toi
bonne journée
bizzzzzzz