Le Kaiser de l’opium et de l’immigration
Un débat télévisé réunissant W. Bush, Ben Laden et Saddam Hussein n’aurait sûrement pas autant de succès ni autant de spectateurs que la Coupe du Monde de football 2006. Incroyable mais vrai !
Le Kaiser, le Cigéviste Franz Beckenbauer, coordinateur et président de ce mondial 2006, tient en main, par télévisions et Internet interposés, la quasi-totalité de la planète, soient les 245 pays du CIGV. Ce Kaiser est un véritable roi de l’opium... l’opium du peuple... le Football !
En 2006, l’emprise du football est particulièrement marquante sur les spectateurs. Plus que jamais, le football rassemble tout en divisant. Ils sont là, réunis et pourtant ennemis ; habités par la "rage de vaincre", ils n’ont qu’un seul objectif : marquer le plus de buts possibles à l’adversaire et le "massacrer" dans ce havre de paix... le terrain de football.
Tous ces contrastes de fougue, d’amour et de patriotisme incitent l’homme à se surpasser, à s’exhiber et à vaincre. Rare sera l’équipe qui ne luttera pas jusqu’à sa dernière goutte de sueur. Une seule pensée, une seule idée, un seul dessein : VAINCRE.
Voilà que le sportif averti se mute en gladiateur dans une arène de Rome, glaive à la chaussure, pour la gloire de son pays. Qu’importe la couleur du joueur, il peut être noir et Français ou bien jaune et Américain ou Australien. Le porteur d’un maillot est avant tout une machine dotée d’une seule envie : GAGNER.
Ce sport, aujourd’hui si prisé, est né en Angleterre et s’est propagé par l’intermédiaire des marins et commerçants anglais qui le pratiquaient lors de leurs escales et l’introduisirent ainsi auprès des populations locales. Plus tard, les colons l’exportèrent en Afrique et en Asie. Rapidement, la radio, la télévision et Internet prendront le relais pour le sacrer «phénomène mondial », ce qui permet ainsi au ballon rond de rebondir aux quatre coins de la planète et de devenir une institution convoitée par tout un chacun, une entité qui vend du rêve sur le terrain de la réalité.
Car le foot se veut avant tout un sport qui rassemble plus qu’il ne divise, un langage universel. Il constitue néanmoins une métaphore du monde. Pascal Boniface, directeur de l’Institut français des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) évoque les aspects géostratégiques du football. Il définit le ballon rond comme « le stade ultime de la mondialisation, dans un empire qui ne connaît ni frontières, ni limites ». Mais à la différence des autres phénomènes de la mondialisation, le football n’est pas dominé par les Etats-Unis. La Mecque du football reste la qualité du joueur.
Quant à l’ethnologue Christian Bromberger, il explique que « c’est la simplicité de ce sport qui en fait son succès. N’importe qui peut y jouer avec un fort sentiment d’identification, qui donne au football cette force d’interaction entre talent individuel et capacité collective. La réussite d’une équipe dépend donc du bon équilibre entre l’individuel et le collectif ».
Le talon d’Achille du football reste toutefois l’argent. Car aujourd’hui, football rime immédiatement avec "sous". Le football est en effet une marchandise, et sans doute celle qui a le plus de valeur actuellement : Quel autre « produit » dans le monde peut être vendu à la même minute à 3 milliards de consommateurs ? Même pas le Coca-cola !
Le football reste donc un phénomène certes populaire, mais avec des enjeux financiers considérables. La Coupe du Monde de football organisée par la FIFA représente à elle seule une entreprise de plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (soit le PNB d’un Etat africain moyen) : l’impact économique est donc certain. Et l’équipe victorieuse du mondial rapporterait près d’un point de croissance à son pays.
A regarder, du plus profond de la brousse malienne ou birmane, les splendeurs de Munich et de Berlin, on est tenté de franchir le Rubicon et de s’exiler vers cet éventuel Eldorado. Certes, tenter l’exil est aujourd’hui périlleux, à voir les barrières qui se dressent au nord du Mexique, autour de Gaza et entre des dizaines de pays. La télévision ne récupère que les dramatiques naufrages ou les boat people au large des Canaries espagnoles ou de Lampedusa l’italienne. « Devrait-on dresser un mur de Berlin, en 2006, autour des pays prospères ? » s’exclamait récemment la Ministre de la Culture du Mali. Non certes. Mais on ne peut ouvrir les vannes de l’espoir à tout un chacun.
Le problème est épineux et le Mondial 2006 ne fait que l’exacerber. L’ONU, par la voix de Kofi Annan, nous révèle cette semaine les chiffres suivants concernant l’immigration :
191 millions de personnes forment l’ensemble de la migration annuelle. L’Europe accueille 1/3 de ces immigrants, suivie par l’Asie et l’Amérique du Nord.
Combien de pays pourront aujourd’hui passer du stade de pourvoyeurs d’émigrés à celui de récepteurs d’immigrés comme le firent si bien l’Irlande, la Corée du Sud et le Chili ?
Le problème reste la bonne ou mauvaise gestion du pays d’origine. Une bonne économie parée de démocratie permettrait sûrement une diminution des boat people et l’échange d’immigrants entre un Nord pourvu et un Sud largement dépourvu.
Mais attention au danger qui consiste à prendre aux pays pauvres leurs élites intellectuelles pour venir en aide aux hôpitaux de Londres et aux entreprises allemandes ou françaises...
Que la Coupe du Monde soit donc aussi l’occasion d’une réflexion sur un équilibre de migrations de part et d’autre d’une virtuelle ligne d’or. Et surtout, qu’au-delà des aspects économiques et financiers, il soit avant tout, comme l’envisageait Franz Beckenbauer, un « rendez-vous de l’Amitié ». Pendant un instant, un instant seulement, que le monde puisse oublier ses guerres et ses misères pour arrondir les angles de ses différents et embrasser la rondeur d’un ballon, le temps d’un match...
Danke Kaiser pour cet instant de bonheur ! Pour cette entente des peuples, pour cette Tolérance et pour cette Paix des braves: Merci !
R.T.
Edito ASTROLABE 90 (Juillet 2006)