le Grec aux deux fils fusillés.
Un peu Métek. Un peu Pâtre grec. Un peu Moustaki et même Zorba le grec….Ses cheveux poivre et sel, jamais passés au peigne, cachent un peu ses yeux à moitié fermés. Pilier de bar, il semble voguer dans un lointain 7e ciel avalant Whisky sur Whisky. On the rock !
Sa veste en cuir noir semble l’étouffer et il ne fait rien pour ouvrir ne serait-ce qu’un seul bouton…
Curieux personnage, en ce soir du 30 décembre 2011 au bar du Sheraton, où je suis juste de passage …
Je l’aborde sans vergogne et découvre son monde. Je me cloitre dans un silence religieux et écoute ses réponses. Son grand père Vaselis est grec (immigré) et il reste très athénien et profondément libyen et musulman !
-« Vous êtes donc Libyen et vous ne paraissez pas heureux. Pourquoi n’êtes-vous pas rentré au pays ? Estes-vous donc des amis de Gadaffi qui n’osent rentrer en Libye ? »
- « Non, je reviens du Maroc et je suis en escale ici pour deux jours. Car pendant notre guerre, je me suis réfugié ici, 80 jours et 80 soirs au bar de cet hôtel…pour oublier le temps. Au Maroc, je viens d’acheter six dragueurs Caterpillar à plus 1 million de dollars pièce et je les ai expédiés par bateau via Dubaï puis le Caire et enfin Libye ! Ici, le silence du bruit de ce bar feutré me fait beaucoup de bien. »
-« Vous n’avez donc pas connu la guerre en Libye ? »
- Un silence. Une larme discrète. Il soulève sa chemise dénude son ventre et me dit : « Regardez mon ventre, là, à gauche, c’est l’entrée d’une balle et à droite sa sortie. Regardez mes mains meurtries, regardez mes jambes enflées. Je garde le sourire car ce qui m’est arrivé est bien plus grave que cela et je suis (Dieu Merci) encore vivant, en train de siroter un verre avec vous à Tunis. »
- « Racontez-moi donc tout, cher Si Ahmed Vaselis, cousin grec…. »
-« Le plus horrible fut la mort de mes deux garçons. Ils étaient, en avril dernier, élèves officiers à notre académie militaire. Un jour, et chacun dans sa caserne et ville, ils refusèrent l’Ordre Gadaffi d’aller TUER. Chacun d’eux reçu une balle dans la tempe pour refus d’obéissance. Je suis alors descendu moi-même au combat avec les jeunes, les salafistes et les engagés volontaires pour libérer le pays. Zanga, Zanga on l’a pourchassé et « we get him ! ».
- « Merci à l’humanisme des alliés occidentaux sous couvert d’Otan ! »
- « Merci, OUI, mais Humanisme : NON. Pour nous, c’est autre chose. Nous sommes conscients que l’Europe est en grande crise économique et qu’ils ont besoin de vendre des armes et du service pour se refaire. Oui, nous avons accepté de payer près d’UN million d’euros une fusée Tomahok par exemple et tout le bombardement de l’Otan a environ 480 milliards d’euros. Ils ont bossé (they do the job » et on paye. Cela nous coûtera certes cher de leur donner à chacun des quatre de l’Otan (GB, France, USA et Italie) 10 ans de pétrole gratuit… ce n’est pas grave. Notre terre est riche. Mais qu’ils ne parlent surtout pas d’humanisme et d’entraide. Ils ont juste fait un boulot de mercenaires qui nous a été très utile. Merci et basta. »
-« Et tout cet armement qu’ils vous ont parachuté où est-il maintenant ? »
- « En partie déjà rendu aux autorités certes. Mais une vingtaine de pays ont acheté cet armement en contrebande par leurs « voyous et mercenaires » et cela me désole. Mais que faire d’autre ? La Libye s’organise et commencera à se structurer ! Mais…elle ne peut oublier ses 10 000 morts tout en fêtant sa libération du Diable ! »
- « Comment voyez-vous la Tunisie et son avenir ? »
-« Vous êtes les pères du PRINTEMPS ARABE. Merci. Mais, vous n’avez pas su avancer. Vous avez perdu un temps fou avec des élections où la nahdha vous « a entubés » face à vos démocrates séparés et non réalistes. La gauche était dans les salons et la nahdha dans les villages. Certains offraient des idées et des espoirs et d’autres vendaient du rêve sur terre et même au ciel. C’est ainsi que vos islamistes avec seulement 1,5 million de voix ont aujourd’hui presque tout le pays en main et ne font que commencer à s’implanter. L’Amérique les aide à travers ses deux vassaux du Qatar et d’Arabie Saoudite pour « islamiser encore plus le pays », vous sortir du modernisme et vous droguer par des promesses divines et aléatoires, pour les vingt prochaines années. Le pays de Carthage a bien changé. Mais, il vous reste un seul espoir pour renverser la vapeur et de faire enahdha une simple opposition démocratique, c’est d’utiliser une énorme richesse : vos femmes instruites et battantes, chose qui nous manque beaucoup en Libye. Elles vous éviteront – peut-être - le danger des salafistes ! »
Son œil se ferme légèrement et une nouvelle larme s’y échappe presque en cachette . Sa douleur est intense et ses espoirs d’une Libye sur pieds qui travaillera avec la Tunisie et les autres pays du Maghreb sont grands.
-« Faites attention à votre révolution, vous nous avez donné l’exemple de LA liberté, mais si vous échouez dans l’extrémisme religieux vous ferez le jeu des puissants et nous tous suivrons… et adieu nos espoirs face à ces nouvelles dictatures. »
Le Grec de Libye, le Métek du Sheraton, Le Soldat de Tripoli croit à son destin et continu à avancer. Debout comme un Homme. Comme dans la vie….!