Un brin d’arrogance ou d’insouciance ?
Bourguiba était dans nos biberons. Dans tous les actes de notre vie. Il était tout et de partout. Quoique l’on dise et que l’on fasse, Bourguiba restera un heureux accident de la Tunisie. Il nous a propulsés vers le Travail et la Modernité avec un demi-siècle d’avance sur la majorité des pays comparables !
Je ne vais pas parler politique, en cet heureux 3 août 2012, mais narrer deux souvenirs de Bourguiba, enfouis à jamais dans les méandres de ma mémoire de voyageur.
Monastir
Je n’étais pas plus haut que trois pommes et du haut de mes sept ou huit ans je me suis improvisé un rôle pour narguer le grand Bourguiba qui venait d’ordonner la destruction de la maison de mon grand père, pour en faire la Place du 3 août à la Karaya de Monastir. Près de 50 chambres et dépendances s’envolèrent… et la belle demeure surplombant la baie de Monastir devint poussière.
Mon père, né pourtant à Tunis, avait la nostalgie de Monastir et a fortement essayé de s’opposer à la destruction de cette immense maison, mais les Vœux de Bourguiba sont des ordres. C’est que notre grande maison qui s’étendait sur peut-être un hectare, front de mer avait le malheur d’être face à la modeste maison de Bourguiba ….
La place du 3 août s’imposait. Le vide devait se faire. La peine de mon père (mon Dieu sur Terre) me faisait mal et j’ai pris ma revanche d’enfant autrement, vis-à-vis de Bourguiba.
C’était donc un 3 août. La nouvelle place du 3 août est aménagée avec des gradins pour recevoir les honorables invités de Tunis et le corps diplomatique.
Sans réfléchir, je plonge directement vers le premier étranger qui arrive et m’improvise Maître de Cérémonie. Je demande aux policiers d’ouvrir les rangs et de laisser passer mon premier hôte, avec qui je parlais certes en français et quelques mots en anglais…
Ça a marché. Le bout d’enfant en short kaki et chemise blanche devint familier aux policiers qui le laissèrent passer une seconde et troisième fois et puis le reconnaissant rapidement ils apprirent son prénom et crient : « Voila R. qui arrive avec un autre Invité de marque, éloignez vous ! »
Pris à mon jeu, il ne fallait pas que je me dégonfle et mon assurance était à son comble.
Arrivèrent les dignitaires tunisiens, les délégués, les gouverneurs et même les ministres. Faute de service protococolaire bien présent et adéquat (une hirondelle à mon ami Si Abdelmajid El Karoui qui prendra plus tard noblement cette fonction) je suis appelé de partout pour faire passer celui-ci ou celui-là et lui choisir la bonne place à la tribune.
Adrénaline, optimisme et insouciance feront que je ne lâchais pas prise et continuais pendant plus d’une heure à organiser l’entrée des invités du Président, pour assister aux festivités du 3 août !
Soudain. Un mouvement de foule. Des cris. Des chuchotements. La foule en liesse se met à crier « Yahia Bourguiba » et au jeune enfant d’essayer de garder en ordre la place des hôtes !
Soudain. Il est là face à moi. Bourguiba. Le capitaine de police souriant me pousse vers lui et me dit à voix basse :
« Et lui tu ne l’accueilles donc pas et le conduit à son fauteuil au centre des gradins ? »
Mais. Mais, je commençais à me poser de sérieuses questions sur l’homme et l’humanité, sur le culot, la volonté et la folie peut-être…. Tout se monde s’est habitué en une heure de temps à ce qu’un enfant (tombé du ciel) joue le rôle de Chef de protocole un 3 août !!!
Soudain le temps s’arrête. Mes jambes flageolent légèrement et mes joues rougissent. Trop tard pour reculer.
En quelques secondes je suis face au Président Bourguiba et lui demande de bien vouloir me suivre vers son fauteuil à la tribune…
Un blanc dans ma mémoire. Un nuage. Je me souviens uniquement de Bourguiba qui en s’essayant dit à son aide de camp Allalah Laouiti, :
« Mais votre service d’ordre et de protocole est très jeune. Ce garçon fera du chemin… »
A mon tour de lui répondre sans sourcilier :
« Président, c’est normal que c’est moi qui vous reçoive et qui vous place à la tribune. En ce même endroit habitait mon grand père et son château rasé est devenu…la place du 3 août »
Je m’attendais à une gifle de ses flics ou de ses sbires…. Mais c’est un rire franc qui me répondit !
Je crois qu’il n’a rien compris de cette puérile revanche du fils pour sauver un temps soit peu l’honneur du père !
Rached
Prochain article : Aux funérailles de Bourguiba, à Monastir, avec Marzio un invité monégasque et mes 3 enfants venus directement du bout du monde pour ne pas rater cet événement, eux et moi avons tous raté les funérailles d’Hannibal, d’Hasdrubal et de Didon par exemple. Directement, avec Chirac et Arafat, face à Ben Ali… à Tourbet Bourguiba.
Les caprices de la vie….