La saga se corse
chez les Lettons!
C’était le 11 août, fameux jour de l’éclipse solaire et veille du grand départ vers les pays baltes. J’avais déjà envoyé à l’ambassade d’Estonie, par poste, tous les documents requis pour l’obtention d’un visa à double entrée en acceptant de facto une énorme taxe à payer. Un téléphone de précaution ultime à Madame le consul m’apprend hélas une nouvelle formalité.
Il fallait exhiber à l’ambassade autant de traveller’s chèques de 100 dollars chacun que de jours à passer et ce, aussi bien à l’aller qu’au retour. J’avais beau arguer qu’à l’heure de la puce électronique les cartes de crédit devraient suffire, et j’entendais cette même réponse : « N’oubliez pas qu’il faut la même chose pour votre fils ! »
Mes trois banques habituelles m’apprennent qu’elles n’ont pas délivré de traveller’s chèques depuis des années !
Il est onze heures. Tunis s’endort. Les rues se vident à une cadence effrayante. Le soleil perd de son intensité. La foule mal informée et angoissée abandonne rues et commerces. En été, toute l’administration tunisienne ferme à treize heures. L’acquisition de ces sacrés traveller’s chèques devient aléatoire, difficile et presque impossible avant mon avion du lendemain à huit heures du matin. Une idée. Une bête idée. Je téléphone à un ami PDG de banque pour lui demander...s’il s’était procuré des lunettes de protection pour cette éclipse solaire ! Le directeur me reçoit comme le Messie ! Il est effectivement en panne d’une paire de lunettes. Notre marchandage dure trois minutes et se termine par un grand éclat de rire : « Si tu es là en quinze minutes, me di-il, nous prendrons le café ensemble et nous observerons l’éclipse depuis la fenêtre de mon huitième étage avec tes précieuses lunettes d’apothicaire, le temps qu’il faudra pour t’établir le nombre de traveller’s chèques demandés. »
Tunis en 1950 a dû ressembler à la ville déserte de ce 11 août 1999.
À douze heures précises, pas la moindre voiture en circulation. Mais la surprise est ailleurs. Le lendemain à Paris, escortés par une amie, nous découvrons en cherchant le consulat de Lettonie une surprenante rue qui porte le nom de « Villa Saïd », là où est né Emile Zola. J’apprends ainsi qu’à Paris, certaines petites rues fermées et protégées sont réservées à quelques heureux mortels qui peuvent aisément parquer leur Porsche ou leur Ferrari en toute confiance.
Après avoir vérifié, compté et photocopié les traveller’s chèques en question, la jeune consul nous remet enfin nos visas à double entrée. La suite de l’histoire est plus surprenante encore. Une semaine plus tard, nous arrivons à 22 h dans un très bel hôtel de Riga. Zi, mon accompagnateur âgé de 13 ans et argentier désigné, sort ses fameux traveller’s chèques pour régler la nuit d’avance. Ni chaise, ni verre d’eau pour amortir le choc : les traveller’s chèques ne sont pas reconnus en Lettonie ! Tôt le lendemain, une banque de Riga, moyennant forte commission, me changera mes maudits traveller’s chèques en précieux dollars. Heureusement que le ridicule ne tue pas. L’empire soviétique a-t-il vraiment éclaté ?
Comment transformer un Niet en Da ?
Le troisième épisode est celui de l’ambassade de Lituanie qui refuse, au bout de cinq mois de tractations épistolaires, de nous délivrer un visa touristique. Sans autre forme de procès.
Finalement, une jeune dame du consulat nous souffle une idée : trouver une personne à Vilnius qui pourrait se rendre au Ministère des Affaires Etrangères de Lituanie et obtenir une invitation qui nous permettrait d’avoir ce visa. Une dizaine de emails me font découvrir un ami Kiwanien, Audrius Sabas, qui accepte de me rendre ce service. Fou de joie, je faxerai plus tard au consulat de Lituanie à Paris cette invitation sous forme d’un tableau d’honneur cartonné (21x29 cm !). Niet. Cette invitation ne porte hélas qu’un seul prénom. Merci à Audrius d’avoir accepté le diktat administratif de son pays et de nous avoir adressé une seconde invitation qu’il faudra ensuite montrer en original au consulat à Paris. Ce soir-là, à 9 000 mètres d’altitude, la bonne humeur et un champagne gai et pétillant m’ont peut-être un peu déconcentré. En arrivant chez nos hôtes parisiens pour passer la nuit, je m’aperçois que j’ai oublié dans l’avion mon fameux dossier de voyage qui comporte, outre mes plans de villes et mes contacts, les deux « invitations-tableaux » d’honneur pour entrer en Lituanie. Air France ne devait jamais retrouver ma petite serviette noire avec mes précieux documents.
Anxieux, inquiets, démoralisés, nous assistons, dans le couloir du consulat de Lituanie au 14 boulevard Montmartre à la discussion suivante.
Une jeune blonde qui du sourire ne connaît ni le nom, ni le secret, toise un Argentin d’un mètre quatre-vingt-dix et lui répète sans même le regarder qu’il devra retourner à Buenos Aires faire sa demande de visa à l’ambassade de Lituanie en Argentine et revenir ensuite à Paris pour reprendre son avion pour Vilnius. Quand une représentation diplomatique existe dans un pays donné, les ressortissants de ce pays doivent en effet demander leur visa à ladite représentation. L’Argentin ne comprend toujours pas qu’il devra faire plus de vingt heures d’avion pour aller chercher son visa et revenir à Paris. Seuls 21 pays de notre liste des 243 pays du CIGV sont exemptés de visa d’entrée pour la Lituanie. L ’Argentine et la Tunisie ne font hélas pas partie du lot.
Arrive enfin notre tour chez Madame le Consul.
Elle écoute sans broncher notre mésaventure d’Air France, refuse nos passeports et nous demande de revenir dans quatre heures, le temps de téléphoner à son Ministère des Affaires Etrangères à Vilnius. Tout ceci à l’aube de l’an 2000. L’après-midi, une brise parisienne semble effleurer le courroux de la dame qui se montre plus souriante et coopérative. Elle nous délivre un visa avec une seule entrée. C’est tout ce que nous demandions puisque la Lituanie constitue la dernière étape de notre sacré voyage aux pays baltes.
Le plus étonnant est certainement notre folle obstination à vouloir visiter les pays baltes coûte que coûte.
@suivre : Vers un aéroport fantôme !