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Le Voyage, Le voyageur - Page 11

  • Sur les pas de Violetta

    AU PAYS DU FLEUVE TUMULTUEUX

    Le voyage moldave est à sa 5e escale !

    Violetta, notre guide improvisée, nous conte la saga de son pays d’une manière plus poétique : « le nom de Chisinau fut mentionné la première fois au XVIe siècle.

    Ce nom turc de l’époque de l’Empire ottoman signifie source neuve. L’étymologie du nom du pays est également très curieuse. En ancien allemand, Molde signifie mine à ciel ouvert, creux ou lit de rivière. En pays tchèque, le fleuve tumultueux ou Vlatva signifie creuse d’où le nom Moldau. Cette force de creuser pour trouver un nom au pays se retrouve en Roumanie, avec sa rivière qui creuse, la Moldova.

    Après les grandes dévastations tatares de l’Europe orientale, au XIIIe siècle, le repeuplement se fait sous la houlette des royaumes de Hongrie et de Pologne, tandis que l’assistance technique était fournie par l’Allemagne. Les premiers princes moldaves eurent aussi recours à l’assistance militaire hongroise qui enfanta pour l’histoire le nom même de la capitale, Chisinau de « Kis-Jenö » ou le « Petit Eugène ». Plus tard, les Russes changèrent pour un certain temps Chisinau en Kichinev.

    LA SOURCE NEUVE

    En 1359, toutes les principautés situées entre les Carpates, le Dniestr, la mer Noire, le Danube forment la grande Moldavie. En 1812, la partie occidentale reste roumaine et la partie orientale devient russe sous le nom de Bessarabie. Cette dernière se libère en 1917 et se rattache un an plus tard à la Roumanie jusqu’à sa reprise par Staline en 1940 avec en bout de couloir une indépendance en 1991 et la naissance de la République de Moldavie.

    Reste la Moldavie roumaine, celle qui forme aujourd’hui une province de la Roumanie, rappelant l’histoire étymologique et épique de la Macédoine :

    Une république indépendante d’Europe et en outre le nom d’une province de la Grèce. Tels sont les faits de l’histoire. L’écrivain Virgil Gheorghiu (auteur de la 25e heure) nous fait découvrir le savoureux décor de cette Moldavie roumaine, avec ses Carpates, se vallées de la Bistrita et du Trotus et ses lacs enchâssés de Bicaz et de Lacu-Rosu. »

    Aujourd’hui, la frontière du Prout entre les deux Moldavie est enfin ouverte, après 46 ans de séparation forcée. La fusion des pays est possible et le drapeau est déjà le même, tout comme la langue. Faute d’unité territoriale, l’unité spirituelle et matérielle est déjà faite. Si l’on demande aux trois millions d’habitants demeurant encore en Moldavie qui veut partir à Bucarest, plus de la moitié demanderait à le faire. Le dérisoire salaire de 20 US$ par mois sera peut-être quintuplé et l’oxygène purifié. La demande de départ est si forte et les visas Schengen tellement rares que des fuites s’organisent autrement. Des centaines de femmes empruntent la filière albanaise en se vendant pour une poignée de dollars pour pouvoir gagner l’Ouest.

    Je suis face à la statue de Stefan Cel Mare, quand, soudain, une femme d’un âge certain m’apostrophe et me somme de la suivre sur-le-champ…

    (A suivre)

     

  • DES FLEURS ET DES COURONNES MOLDAVES

    450 US$ de PNB par tête et par an

    4e escale moldave! Imaginez une charrette tirée par un bœuf noir et suivie d’une foule toute de noir vêtue. Imaginez dans un cercueil le visage dévoilé de la vieille défunte et vous ferez partie du cortège funèbre. Des fleurs et des couronnes ornent la charrue.

    Le cimetière est sobre et sordide et me rappelle ma guerre de Bosnie-Herzégovine et ses tombes de Sarajevo où gisent des dizaines de jeunes soldats ravis à la fleur de l’âge. Notre retour sera plus long et le chemin des écoliers nous offre d’autres magnifiques paysages à travers une forêt de pins  gigantesques où se lovent, ça et là, de beaux petits chalets tout de rouge vêtus !

    La soirée se termine sur les boulevards de Chisinau. Dans un vieux troquet, la préposée au bar, plantureuse et joviale, nous tend une bière, un canapé de jambon et une salière.

    À chacun sa coutume. Affalés sur leurs tables, les clients semblent causer avec leurs bières, perdus dans de légères vapeurs éthyliques. La nuit ne freine pas le commerce. Pour ce chapelier ayant pignon sur rue, le premier client risque d’être pour demain. Les passants sont calmes et discrets. C’est par contre cette dame qui m’intrigue. Avec un petit balai de 15 cm de haut, elle nettoie le pourtour de son tabouret posé sur le trottoir. C’est son territoire, son échoppe. Elle vend religieusement et stoïquement des graines de tournesol à minuit. Son âge canonique, sa distinction et sa grâce dévoilent son aristocratie perdue. Est-elle Russe Blanche ou veuve de Général ? Je m’attarde à contempler son manège que ne dérange ni le froid ni la misère. Soudain jaillit une belle jeune dame qui s’assoit en tailleur auprès d’elle. C’est sa fille aux lettres savantes. Elle m’explique que par la vente de ces graines noires sa maman triple le produit de sa pension alimentaire. Les 8 dollars deviennent 24 !

    Un peu plus loin, le spectacle est encore plus poignant. À la force de l’âge, cette jeune maman sur le trottoir depuis des heures semble changée en statue de sel.

    Elle porte à bout de bras un beau gilet de laine blanche qu’elle a soigneusement tricoté durant de longues nuits. Pour  5 petits dollars, j’ai le plaisir de la rendre heureuse et de rentrer avec ce beau gilet. La crise économique est réelle !

    Allons voir cela de plus près

    ECONOMIE MOLDAVE en 2001

    La Moldavie est une des premières victimes de la crise russe. Elle est également sous la dépendance économique du grand voisin roumain qui accentue ainsi les faiblesses internes du pays.

    Avec un PNB (Produit National Brut) de 450 US$ (le 1/7 de la Tunisie et le 1/10 de la Malaisie), la Moldavie est classée 149e sur 244 pays. Le salaire moyen est encore de 20 US$ et de 100$ pour ceux qui arrivent à trouver un job dans une compagnie étrangère. La planche de salut reste l’exode vers le voisin roumain où les salaires peuvent alors décupler selon la spécialité. Si les formalités de sortie n’étaient pas aussi draconiennes, près de la moitié de la population quitterait le pays en un jour. Mitoyenne à notre hôtel, l’ambassade d’Allemagne, la seule chancellerie qui délivre des visas Schengen, voit dès 22h une queue se former pour attendre l’ouverture des guichets consulaires le lendemain à 8h ! Sur dix candidats un seul Moldave aura la chance d’obtenir un visa pour l’oxygène et pour la liberté !

    Une terre noire très riche et un climat plus chaud qu’en Ukraine voisine permettent à la Moldavie des rendements céréaliers élevés.

    Le blé, l’orge, la pomme de terre, le maïs, le raisin et le tabac sont les principales productions du pays. Près d’un million de bovins, de porcs et de moutons forment avec 15 millions de poulets le plus gros du cheptel moldave. La désindustrialisation augmente le chômage et les seuls secteurs rentables situés en Transnistrie voisine ferment leurs portes ! Pour comble de malchance la Russie qui absorbe 60% des exportations moldaves est en crise économique et diminue ses importations. Le déficit commercial atteint 20% du PIB et la récession continue !

    Curieux destin pour un pays qui a commencé son existence sous l’eau il y a des millions d’années, comme vient de le révéler la découverte de récifs de corail au nord du pays !

    Violetta, mon guide aux longues tresses blondes, nous attend pour une toute autre découverte…

                                                                  (à suivre)

  • MOLDAVIE (3)

    les Caves de CRICOVA

    Le voyage moldave continu. 3e escale.

    Tot ce matin, déambulant de rue en rue, je me retrouve dans un petit musée à deux étages. La paysannerie porte ici ses lettres de noblesse. Dans ce froid pays, le paysan moldave a dû se plier à la nature et aux intempéries. Les nombreux outils largement exposés ici témoignent de cette rude époque.

     Mais mon esprit est ailleurs ce matin. Je rêve de visiter les caves de Cricova. Le premier taxi me demande une fortune et le second un trésor de guerre. Je me rabats sur la guerre routière « Straschenn ». Imaginez un souk avec des centaines d’étals divers, une foule chargée de ballots de toutes sortes et des camionnettes ZIL ou Lada des années cinquante et vous êtes au quartier de la gare. Chaque minibus, quitte à attendre deux heures de plus, ne part qu’avec le plein de passagers. Perdu dans cette cohue en allégresse, je me retrouve nez à nez avec cette déesse venue de je ne sais où ! Ses beaux yeux verts, sa taille de guêpe et son mètre soixante-quinze sont cachés dans une belle fourrure des montagnes des Carpates. Violetta Zamisnaia ne déroge pas à la loi culturelle et parle un français parfait. Habile, elle amadoue de suite un chauffeur de taxi qui nous prend à son bord pour six malheureux petits dollars.

    Le paysage devient féerique. Des lacs enclavés entre les collines sont bordés de majestueux sapins dorés qui s’entremêlent en formant un chapelet bucolique qui n’attend que le chevalet d’un artiste ! La route montagneuse se fait plus raide et l’asphalte fait place à une boue gluante. Le drame de cette région est hélas fort simple : il a fait très froid au début de décembre et le gel a été si fort que les rameaux d’arbres ont cédé sous le poids de la glace amoncelée. Que dire des poteaux électriques et des lignes haute tension. Tout est brisé et jonche tristement le sol. Le pays est sinistré et seule la ville de Chisinau est en partie « réparée » pour le nouvel an.

    Là, dans une vaste clairière, s’ouvrent les portes d’un cloître du XVIIIe siècle.

    Deux heures de visite guidée par un prêtre en soutane noire, ceint d’un gros cordon blanc. Les fresques rivalisent de beauté avec les icônes et les tableaux rupestres jouxtent ceux des apôtres et de la cène. Les caves de vin du monastère garderont hélas en cette période de fêtes leur mystère.

    À 30 kilomètres de Chisinau, les caves de Cricova forment 70 kilomètres de tunnels et détiennent ainsi le record mondial de longueur. Ces tunnels permettent une parfaite conservation des millions de litres de vin qui permirent à la Moldavie de produire 25 % des vins soviétiques. Outre ces bons vins de Cricova, le pays produit le Cothar, un cru de qualité et un excellent mousseux qui du champagne connaît tous les charmes et secrets en arborant avec fierté une étiquette noire « Bessarabia »... à 5$ la bouteille !

    À la sortie du cloître, un spectacle saisissant nous fige sur place.

    (à suivre)

     

  • MOLDAVIA (2)

    Ni Rom ni Gitans

    Une voiture privée des années cinquante, d’origine russe, noire comme du vieux charbon, se faufile dans les ruelles sombres qui séparent la ville de l’aéroport. Puis les avenues  se font plus larges, les arbres majestueux, les façades plus « époque de Tsars » et un rai de lumière diffuse sous certains porches.

    À l’orée d’une forêt, deux jeunes soldats arrêtent notre véhicule et nous ouvrent bien vite la barrière de bois rouge. C’est enfin le Jolly-Alon. Le sourire de Marianne qui se frotte les yeux de sommeil et d’incrédulité me remet de bonne humeur. Mon baluchon rapidement jeté sur mon lit et ma veste chaude enfilée, je dévale l’escalier pour rejoindre la sortie. Deux jeunes gardes taciturnes me barrent l’entrée et me ramènent vers Marianne. Douce et quelque peu intimidée, elle fait tout pour me dissuader. La raison du Voyageur ignore souvent la raison et le discours de ma nouvelle amie n’aura pas d’effet. Pour préserver ma vie, il est impérativement recommandé de ne pas sortir seul après 22 heures et surtout de ne pas traverser le parc  d’en face. Traversant à pas rapides ce parc majestueux et chantant à tue-tête, je me retrouve rapidement sur un grand boulevard où je retrouve  un zeste de Minsk en Biélorussie et un parfum sordide de Kiev en Ukraine, by night. Ce que l’URSS a pu construire d’augustes bâtisses, de grands boulevards et d’arcs de triomphe dans ce pays !

    La ville n’est pas déserte. Elle est drapée d’une lumière voilée et d’un froid glacial. Soudain, un rire nerveux et enfantin me surprend. Ils sont dix ou même quinze. Ils ont moins de 12 ans et sont assis à même le sol.  

    Les pupilles en mydriase et le nez rouge leur donnent un air de jeunes ivrognes. Ce n’est ni le gin ni la vodka qui les émèchent mais une sordide et curieuse bouteille de plastique blanche. Ce ne sont ni Rom ni des Gitans mais de jeunes Moldaves pauvres et abandonnés. En « sniffant » la colle, ils oublient la misère de leurs douze ans ! Les histoires de la télévision sont bien des réalités. Hélas.

    Plus loin, une baraque de 2 m2 vend de froides saucisses et des graines de tournesol éclairées par une lampe à huile. Plus loin encore, je suis hélé par un jeune soldat de 20 ans. Sa chaude « chapska » et son manteau de laine épaisse ne cachent ni son gros furoncle au cou, ni la misère qui hante son regard, ni encore sa solde de 20 US$ par mois, à l’instar des ouvriers du pays. Il quémande une cigarette à un non-fumeur. Quand la chance fait défaut... Deux autres soldats chétifs et hirsutes montent la garde devant une façade baroque par ce froid de canard. Une grande plaque de bronze indique l’ambassade de Hongrie.

    Près d’une heure de marche à vive allure et je retraverse mon parc en évitant les drogués et leurs lames alertes !

    HISTOIRE MOLDAVE

    La dynastie moldave ou le Bessarab s’étend sur la rive ouest du Dniestr (Nistru) qui le sépare de l’Ukraine et portait, au gré du temps, entre 1367 et 1944, le nom de Bessarabie.  

    Ce pays s‘étend jusqu’à la rive de l’autre fleuve de la région, le Prout, qui la sépare de la Roumanie. Au XIVe siècle les Turcs s’emparent de la Bessarabie et l’occupent jusqu’en 1812, date de son premier rattachement à la Russie par le traité de Bucarest. Potemkine le célèbre ami de Catherine La Grande, redonne à la Moldavie son ancien nom de Bessarabie.

    Quarante ans plus tard la Roumanie voisine occupe le pays. En 1878 la guerre russo-turque donnera le jour à une très brève indépendance puis à une fusion de la Bessarabie avec la Roumanie. C’est l’époque d’Eminescu, le Goethe moldave (1840-1879) dont la statue est aujourd’hui à l’entrée du parc principal de la capitale et qui rassemble les amoureux de Chisinau sous son regard amusé.

    Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le pays fera partie de la République fédérée d’Ukraine, qui perdra le Nord de la Bessarabie en 1940. C’est ce qu’attendait la Roumanie pour reprendre ce petit pays et la Transnistrie pendant quatorze autres années et le céder enfin à l’URSS. Ce ballottage historique d’un pays enclavé se termine par une indépendance étriquée en 1991. Pour le malheur de ce petit pays de 33 700 Km2 et de 4,3 millions d’habitants, les russophones déclarent la région de Transnistrie autonome, tout comme la Gagaouzie qui se sépare de la République de Moldavie qui perd ainsi son nom de Bessarabie. 200 000 habitants peuplent les 1 800 Km2 de la Gagaouzie et parlent turc tout en étant chrétiens. A Komrat la capitale, un gouvernement déclare en 1990 une république autonome au grand dam de la République de Moldavie ainsi amputée. Le même scénario se répète au sud-est avec la Transnistrie et ses 750 000 habitants vivant sur 5 000 Km2 qui s’autoproclame république de la rive gauche du Dniestr. Un pays créé de toutes pièces par les Russes, comme de partout sur l’ancien territoire de l’URSS : les guerres de Tchétchénie, du Nagorny-Karabach, le Nakhitchevan, etc.

    Nous voilà donc avec une Moldavie sans tête ni pieds et trois gros problèmes: plus de passage au Sud vers la mer Noire, au nord la Gagaouzie dans la région des Carpates et au sud-est cette turbulente Transnistrie, le tristement célèbre bastion du 14e régiment russe, qui se proclame indépendante et tue l’industrie moldave.

    Ainsi dépecée, la Moldavie vit par la grâce de Dieu, la force de ses chefs et par la présence certaine d’une forte maffia (dite russe) qui détient plus d’un pouvoir dans un pays habitué à près de 70 ans de soumission et d’obéissance!

    Tout cela explique l’usage du roumain et du russe comme langues véhiculaires du pays. Le dit moldave n’est autre que le roumain et le gagaouze est une langue turque avec des caractères grecs. Le flux et le reflux de l’histoire ne sont pas étrangers à ce mélange linguistique. Ce même mélange donne, du point de vue physionomique, une beauté féminine qui a peu de concurrents dans cette partie du monde. Imaginez un pays un peuple à 65% d’origine roumaine, 25% russe, 3% gagaouze et 2% bulgare et vous comprendrez que les dames Moldaves sont ont le port fier et altier, le sourire permanent et une simplicité qui confine à l’élégance et à l’amabilité !

    Allons maintenant à la découverte de l’Autre, de l’aborigène, de l’autochtone, ses us et ses coutumes si lointaines….en passant par les caves de Cricova !

    (A suivre)