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Voyage - Page 6

  • Ballade en Estonie (4)

    @travers le Sussi Jaani

    Ce matin, c’est la découverte d’un musée ouvert à l’orée de Tallinn, le « Sussi Jaani ». Une merveille. La reconstitution de la vie estonienne des siècles passés dans un espace de dix hectares.

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    Des dizaines de larges maisons d’une seule pièce de 40 mètres de long où de solides troncs d’arbres forment murs et cloisons. Un chaume coupé sur les rivages de la Baltique comme de fins roseaux tempère les froids de l’hiver polaire. Un coin dortoir pour réunir la famille. Un coin cuisine pour sauvegarder les graines et les huiles et un coin séjour pour filer la laine et le temps. Sans journal ni radio, le chef de famille avait encore la chance d’apprécier une vraie vie de famille et personne n’avait l’excuse d’Internet, d’une chaîne câblée ou du dernier CD de Cher ou de Madonna. C’était encore l’époque où 90 % des Estoniens vivaient à la campagne contrairement à aujourd’hui où il ne reste plus que 10 % de paysans.

    La mystique et la religion n’ont jamais occupé une grande place chez l’Estonien, depuis le deuxième âge d’or de Tallinn, au XVIIe siècle, sous la férule du roi protestant de Suède. Il ne reste plus aujourd’hui que 20 % de croyants. C’est peut-être le plus haut taux d’athéisme de la planète. Si l’Allemagne affiche près de 25 % de non croyants en 1999, c’est surtout par esprit mercantile et non confessionnel. C’est que l’église allemande continue en cette fin de siècle d’exiger une dîme du contribuable de près de 5 % !

    Tout au long de notre balade entre rivières et collines émerge ça et là la magie du grand Nord. Le bonheur est toujours éphémère à l’instar du moment volé à la vie. Le bonheur n’est souvent qu’un sourire fugace, qu’un téléphone inattendu ou qu’une simple rencontre fortuite. Le dieu Hasard guide le berger de la planète, le simple Voyageur. Dans ce parc, le bonheur est de bois vêtu et fait de ces 8 m3 de bois surchauffé un sauna finlandais. Le bonheur de l’Estonien. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle, l’Estonien prend son sauna à plus de 100°C en vapeur sèche, court nu comme un ver vers un trou creusé à même la glace pour une baignade vivifiante et revient à nouveau dans son sauna. Cette navette et ce manège durent souvent deux ou trois heures.

    Tèra ! Encore une fois ! Dit rapidement, Tèra se mue en Tèratèra et fait rire aux éclats notre jeune guide aux yeux océaniques. Nous croyons lui faire plaisir en l’apostrophant en estonien avec un Tèra ! qui signifie « Salut ! », mais doublé et sans intonation, Tèra devient « pomme de terre » ! Cette plante ramenée par Christophe Colomb d’Amérique vers l’Espagne transita par l’Allemagne pour devenir le plat de résistance de l’Estonie.

    Qui peut prétendre à la citoyenneté du pays ? Voilà un problème que j’ai rencontré dans les trois pays baltes et que chaque pays essaie de résoudre d’une façon plus ou moins malheureuse.

    L’Estonie a résolu le problème d’une façon arbitraire. Devient Estonien celui qui l’était en 1940 et ses descendants, ainsi que l’étranger qui réside au pays depuis plus de cinq ans, mais à deux conditions : qu’il connaisse la langue estonienne et qu’il n’ait jamais travaillé pour le KGB. Le tiers de la population, soit 500 000 russophones, est ainsi exclu de la citoyenneté. Reste une tranche de la population qui n’est ni estonienne de facto, ni en attente de papiers. Ce sont les citoyens russophones qui ont précieusement conservé leur passeport périmé de l’ancienne URSS. Il ne leur reste que des larmes désespérées et un document qui leur permet certes de décliner leur identité et de se rendre en touriste en Russie voisine, mais qui ne leur donne aucun droit en Estonie.

    L’Estonie ne peut ni donner des papiers à ces Soviétiques, ni trop les maltraiter car le géant voisin russe criera aussitôt à l’incident diplomatique. Leurs enfants nés en Estonie auront, eux, la possibilité, à 16 ans, de demander la nationalité.

    @ suivre : Le quartier russe de Lasnamaï

     

  • Saga-Visa-Estival (2)

    La saga se corse

    chez les Lettons!

    C’était le 11 août, fameux jour de l’éclipse solaire et veille du grand départ vers les pays baltes. J’avais déjà envoyé à l’ambassade d’Estonie, par poste, tous les documents requis pour l’obtention d’un visa à double entrée en acceptant de facto une énorme taxe à payer. Un téléphone de précaution ultime à Madame le consul m’apprend hélas une nouvelle formalité.

    Il fallait exhiber à l’ambassade autant de traveller’s chèques de 100 dollars chacun que de jours à passer et ce, aussi bien à l’aller qu’au retour. J’avais beau arguer qu’à l’heure de la puce électronique les cartes de crédit devraient suffire, et j’entendais cette même réponse : « N’oubliez pas qu’il faut la même chose pour votre fils ! »

    Mes trois banques habituelles m’apprennent qu’elles n’ont pas délivré de traveller’s chèques depuis des années !

    Il est onze heures. Tunis s’endort. Les rues se vident à une cadence effrayante. Le soleil perd de son intensité. La foule mal informée et angoissée abandonne rues et commerces. En été, toute l’administration tunisienne ferme à treize heures. L’acquisition de ces sacrés traveller’s chèques devient aléatoire, difficile et presque impossible avant mon avion du lendemain à huit heures du matin. Une idée. Une bête idée. Je téléphone à un ami PDG de banque pour lui demander...s’il s’était procuré des lunettes de protection pour cette éclipse solaire ! Le directeur me reçoit comme le Messie ! Il est effectivement en panne d’une paire de lunettes. Notre marchandage dure trois minutes et se termine par un grand éclat de rire : « Si tu es là en quinze minutes, me di-il, nous prendrons le café ensemble et nous observerons l’éclipse depuis la fenêtre de mon huitième étage avec tes précieuses lunettes d’apothicaire, le temps qu’il faudra pour t’établir le nombre de traveller’s chèques demandés. »

    Tunis en 1950 a dû ressembler à la ville déserte de ce 11 août 1999.

    À douze heures précises, pas la moindre voiture en circulation. Mais la surprise est ailleurs. Le lendemain à Paris, escortés par une amie, nous découvrons en cherchant le consulat de Lettonie une surprenante rue qui porte le nom de « Villa Saïd », là où est né Emile Zola. J’apprends ainsi qu’à Paris, certaines petites rues fermées et protégées sont réservées à quelques heureux mortels qui peuvent aisément parquer leur Porsche ou leur Ferrari en toute confiance.

    Après avoir vérifié, compté et photocopié les traveller’s chèques en question, la jeune consul nous remet enfin nos visas à double entrée. La suite de l’histoire est plus surprenante encore. Une semaine plus tard, nous arrivons à 22 h dans un très bel hôtel de Riga. Zi, mon accompagnateur âgé de 13 ans et argentier désigné, sort ses fameux traveller’s chèques pour régler la nuit d’avance. Ni chaise, ni verre d’eau pour amortir le choc : les traveller’s chèques ne sont pas reconnus en Lettonie ! Tôt le lendemain, une banque de Riga, moyennant forte commission, me changera mes maudits traveller’s chèques en précieux dollars. Heureusement que le ridicule ne tue pas. L’empire soviétique a-t-il vraiment éclaté ?

    Comment transformer un Niet en Da ?

    Le troisième épisode est celui de l’ambassade de Lituanie qui refuse, au bout de cinq mois de tractations épistolaires, de nous délivrer un visa touristique. Sans autre forme de procès.

    Finalement, une jeune dame du consulat nous souffle une idée : trouver une personne à Vilnius qui pourrait se rendre au Ministère des Affaires Etrangères de Lituanie et obtenir une invitation qui nous permettrait d’avoir ce visa. Une dizaine de emails me font découvrir un ami Kiwanien, Audrius Sabas, qui accepte de me rendre ce service. Fou de joie, je faxerai plus tard au consulat de Lituanie à Paris cette invitation sous forme d’un tableau d’honneur cartonné (21x29 cm !). Niet. Cette invitation ne porte hélas qu’un seul prénom. Merci à Audrius d’avoir accepté le diktat administratif de son pays et de nous avoir adressé une seconde invitation qu’il faudra ensuite montrer en original au consulat à Paris. Ce soir-là, à 9 000 mètres d’altitude, la bonne humeur et un champagne gai et pétillant m’ont peut-être un peu déconcentré. En arrivant chez nos hôtes parisiens pour passer la nuit, je m’aperçois que j’ai oublié dans l’avion mon fameux dossier de voyage qui comporte, outre mes plans de villes et mes contacts, les deux « invitations-tableaux » d’honneur pour entrer en Lituanie. Air France ne devait jamais retrouver ma petite serviette noire avec mes précieux documents.

    Anxieux, inquiets, démoralisés, nous assistons, dans le couloir du consulat de Lituanie au 14 boulevard Montmartre à la discussion suivante.

    Une jeune blonde qui du sourire ne connaît ni le nom, ni le secret, toise un Argentin d’un mètre quatre-vingt-dix et lui répète sans même le regarder qu’il devra retourner à Buenos Aires faire sa demande de visa à l’ambassade de Lituanie en Argentine et revenir ensuite à Paris pour reprendre son avion pour Vilnius. Quand une représentation diplomatique existe dans un pays donné, les ressortissants de ce pays doivent en effet demander leur visa à ladite représentation. L’Argentin ne comprend toujours pas qu’il devra faire plus de vingt heures d’avion pour aller chercher son visa et revenir à Paris. Seuls 21 pays de notre liste des 243 pays du CIGV sont exemptés de visa d’entrée pour la Lituanie. L ’Argentine et la Tunisie ne font hélas pas partie du lot.

    Arrive enfin notre tour chez Madame le Consul.

    Elle écoute sans broncher notre mésaventure d’Air France, refuse nos passeports et nous demande de revenir dans quatre heures, le temps de téléphoner à son Ministère des Affaires Etrangères à Vilnius. Tout ceci à l’aube de l’an 2000. L’après-midi, une brise parisienne semble effleurer le courroux de la dame qui se montre plus souriante et coopérative. Elle nous délivre un visa avec une seule entrée. C’est tout ce que nous demandions puisque la Lituanie constitue la dernière étape de notre sacré voyage aux pays baltes.

    Le plus étonnant est certainement notre folle obstination à vouloir visiter les pays baltes coûte que coûte.

    @suivre : Vers un aéroport fantôme !

  • Les araignées des hommes des cavernes(5)

      Un mur de tissu blanc

    Vingt deux ans plus tard, au cœur de la forêt amazonienne de la Guyane Française , je déambulais un soir, vers 22 heures, avec un compagnon de vadrouille.

    Dans un sentier glissant et parsemé d’embûches, nos petites torches nous dévoilent toutes sortes de petits reptiles, de sauterelles, de papillons et autres jeunes carnivores. Tout cela faisait partie du décor et nous enchantait. Soudain, les faisceaux de nos torches électriques fusionnent sur un énorme mur blanc qui barre le chemin. Mystère et boule de gomme. D’où vient cette muraille de Chine, ce mur des lamentations, ce mur de Berlin ou cette muraille de Babel qui stoppe le voyage ? Le mystère s’amplifie. Le mur se veut un simple tissu blanc tiré par quatre cordes, posé par un chasseur embusqué, dit chasseur de papillons. Ils sont dix, ils sont vingt, ils sont cent, beaux et gros papillons de toutes sortes, de toutes les couleurs, accrochés à cette blanche muraille de la jungle de deux m2. Imprudent que je suis, dans mes voyages fous, à travers le monde, j’avance ma main pour caresser délicatement le dos d’un de ces papillons géants. Quand soudain, une tétanie m’envahit.

    De grosses gouttes de sueur perlent sur mon front, face à cette découverte.

    Entre ces papillons, trois énormes mygales ou araignées géantes forment un sinistre trio de la mort ! L’adrénaline et l’acétylcholine de ma mémoire en ébullition ressortent une vieille image de 22 ans. Ma chasse au tigre et l’araignée noire d’Iguazú.

    J’ai passé 22 ans, libre et libéré de cette image d’araignée et me voilà transformé en quelques secondes en arachnophobe!

    Pour ma consolation, j’appris la semaine dernière sur la chaîne télévisuelle franco-allemande « ARTE », que des dizaines de millions de personnes sont arachnophobes pour une simple raison : c’est la faute à Mendel. Dans notre ADN, serait encore gravée la vie de l’homme des cavernes, qui côtoyait, au quotidien, les araignées avec plus ou moins de bonheur.

     

    @suivre : Une vie de chien

  • Puerto Iguazu by night (4)

    Le sel du Tigre

     

    La chance est au rendez-vous. Mon voyage change de rive et aborde de nouveaux rivages. Monsieur le Receveur principal des Postes centrales du village de Puerto Iguazú a décidé de me transformer en aide chasseur. Un volontaire désigné !

    Suivent quatre jours de folie, quatre jours de découvertes et quatre nuits de chasse bredouille. Il s’agissait de chasser le tigre d’Argentine et mon rôle consistait à grimper dans les immenses lauriers noirs de plus de trente mètres de haut et de faire glisser délicatement vers le sol, avec une ficelle, un petit sachet de sel de cent grammes. C’est l’appât que m’a jeté le receveur quand il m’a ouvert sa porte. C’est ce sel qui est censé attirer le tigre vers le chasseur à l’affût.

    Cette narration sera pour plus tard, dans un autre Astrolabe.

    Mais arrêtons-nous à la troisième nuit de chasse à 22 heures 30

    Soudain le temps se fige. L’air se raréfie. Il hurle en me chuchotant un mot. Un ordre : STOP !

    Une image. Une simple image qui se cristallisa dans mon cerveau, se perdit à jamais dans les méandres de ma mémoire et que je n’ai retrouvée que vingt cinq ans plus tard en Guyane Française, au bord du fleuve Oyapock . Le receveur de poste sort religieusement son allumette et fait jaillir une douce flamme qu’il rapproche religieusement de mon nez. Anesthésié par tant de mystère, à 22 heures 31, je me laisse faire.

    La flamme prend soudain des dimensions volcaniques telle une soufrière en gerbe et en feu. L’allumette avance encore au risque de me brûler les cils ! Mon anesthésie s’accentue et mon petit cerveau se fige. Suivent trente secondes de vide. De rien. De peur. D’angoisse. Et surtout d’incompréhension totale. Trente secondes ou déjà une éternité. Soudain, éclata face à mes yeux, un crépitement sinistre, celui d’un bûcher de Jeanne d’Arc ou de crémation balinaise. Une odeur âcre et nauséabonde envahit mes narines et peut-être même toute l’Argentine. Encore trente secondes de flou, de vertige et d’incompréhension. Abracadabra, lèves toi...

    Le mystère s’évanouit. Le receveur des postes me tend la main pour me féliciter de ma deuxième naissance. Il ouvrit gravement sa besace, en sortit une chaude bière et me dit : «  Buvons à ta nouvelle vie ! »

    Je n’osais croire ce que je croyais enfin comprendre et que je ne réalise toujours pas

    Monsieur le receveur des postes argentines venait de me sauver la vie en tuant à l’aide d’une simple allumette une horrible araignée noire qui allait me faire passer de vie à trépas en quelques minutes à peine.

     

    @suivre : 22 ans plus tard…