@travers le Sussi Jaani
Ce matin, c’est la découverte d’un musée ouvert à l’orée de Tallinn, le « Sussi Jaani ». Une merveille. La reconstitution de la vie estonienne des siècles passés dans un espace de dix hectares.
Des dizaines de larges maisons d’une seule pièce de 40 mètres de long où de solides troncs d’arbres forment murs et cloisons. Un chaume coupé sur les rivages de la Baltique comme de fins roseaux tempère les froids de l’hiver polaire. Un coin dortoir pour réunir la famille. Un coin cuisine pour sauvegarder les graines et les huiles et un coin séjour pour filer la laine et le temps. Sans journal ni radio, le chef de famille avait encore la chance d’apprécier une vraie vie de famille et personne n’avait l’excuse d’Internet, d’une chaîne câblée ou du dernier CD de Cher ou de Madonna. C’était encore l’époque où 90 % des Estoniens vivaient à la campagne contrairement à aujourd’hui où il ne reste plus que 10 % de paysans.
La mystique et la religion n’ont jamais occupé une grande place chez l’Estonien, depuis le deuxième âge d’or de Tallinn, au XVIIe siècle, sous la férule du roi protestant de Suède. Il ne reste plus aujourd’hui que 20 % de croyants. C’est peut-être le plus haut taux d’athéisme de la planète. Si l’Allemagne affiche près de 25 % de non croyants en 1999, c’est surtout par esprit mercantile et non confessionnel. C’est que l’église allemande continue en cette fin de siècle d’exiger une dîme du contribuable de près de 5 % !
Tout au long de notre balade entre rivières et collines émerge ça et là la magie du grand Nord. Le bonheur est toujours éphémère à l’instar du moment volé à la vie. Le bonheur n’est souvent qu’un sourire fugace, qu’un téléphone inattendu ou qu’une simple rencontre fortuite. Le dieu Hasard guide le berger de la planète, le simple Voyageur. Dans ce parc, le bonheur est de bois vêtu et fait de ces 8 m3 de bois surchauffé un sauna finlandais. Le bonheur de l’Estonien. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle, l’Estonien prend son sauna à plus de 100°C en vapeur sèche, court nu comme un ver vers un trou creusé à même la glace pour une baignade vivifiante et revient à nouveau dans son sauna. Cette navette et ce manège durent souvent deux ou trois heures.
Tèra ! Encore une fois ! Dit rapidement, Tèra se mue en Tèratèra et fait rire aux éclats notre jeune guide aux yeux océaniques. Nous croyons lui faire plaisir en l’apostrophant en estonien avec un Tèra ! qui signifie « Salut ! », mais doublé et sans intonation, Tèra devient « pomme de terre » ! Cette plante ramenée par Christophe Colomb d’Amérique vers l’Espagne transita par l’Allemagne pour devenir le plat de résistance de l’Estonie.
Qui peut prétendre à la citoyenneté du pays ? Voilà un problème que j’ai rencontré dans les trois pays baltes et que chaque pays essaie de résoudre d’une façon plus ou moins malheureuse.
L’Estonie a résolu le problème d’une façon arbitraire. Devient Estonien celui qui l’était en 1940 et ses descendants, ainsi que l’étranger qui réside au pays depuis plus de cinq ans, mais à deux conditions : qu’il connaisse la langue estonienne et qu’il n’ait jamais travaillé pour le KGB. Le tiers de la population, soit 500 000 russophones, est ainsi exclu de la citoyenneté. Reste une tranche de la population qui n’est ni estonienne de facto, ni en attente de papiers. Ce sont les citoyens russophones qui ont précieusement conservé leur passeport périmé de l’ancienne URSS. Il ne leur reste que des larmes désespérées et un document qui leur permet certes de décliner leur identité et de se rendre en touriste en Russie voisine, mais qui ne leur donne aucun droit en Estonie.
L’Estonie ne peut ni donner des papiers à ces Soviétiques, ni trop les maltraiter car le géant voisin russe criera aussitôt à l’incident diplomatique. Leurs enfants nés en Estonie auront, eux, la possibilité, à 16 ans, de demander la nationalité.
@ suivre : Le quartier russe de Lasnamaï