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Voyage - Page 15

  • Possible impossible !

     

    Le conseiller du Roi

     

     

    Quand le possible affronte l’impossible, pour se retrouver dans un impossible déclaré, il ne reste plus qu’à foncer autrement. Sans réfléchir. Dromomane le voyageur est un être particulier, qui ne connaît ni frontières, ni tabous, ni impossible. D’ailleurs ce qualificatif est-il bien français ?

    Un jour, en quête d’une destination nouvelle et exotique, impossible et compliquée, j’ai choisi avec mon fils Alex, en 2006, d’affronter un pays fermé depuis 30 ans, pour cause de guerre civile. D’aucuns évoquèrent les millions de mines antipersonnelles enfouies dans les rues et chemins de ce pays. D’autres essaient de me persuader d’oublier ce pays qui ne compte pas un seul hôtel. D’autres enfin me souhaitent bonne chance avec un sourire narquois et moqueur en évoquant l’impossible visa d’entrée.

    Je découvre, hélas, que non seulement impossible n’est pas français, mais encore moins allemand, chinois ou même grec. Il m’est impossible de trouver un contact, un logement et surtout un visa pour ce pays d’Afrique profonde. Pour garder le moral, nous décidâmes de coupler l’impossible pays à un second pays lusophone. Le Cap Vert nous ouvrira une voie royale sans gravitude aucune vers ces îles de rêve et d’évasion bercées par la voix de la divine Césaria Evora.

    La nuit apporte conseil dit-on ! Cette nuit agitée et mouvante accoucha d’une idée. Comme toute idée, elle est simple et toute bête. Comment n’y ai-je pas pensé plutôt ?

    Tôt le matin, après mon jogging matinal, je commence une valse téléphonique, scrutant tous les étages de La BAD. Au bout de 60 minutes à peine, je suis enfin avec la secrétaire particulière du représentant officiel de la Guinée Bissau auprès de cette Banque Africaine  de Développement.

    Ayant réussi à la faire rire, elle devint loquace, mais ne comprenait toujours pas pourquoi je voulais aller en Guinée Bissau. Un pays en ruine, un pays en guerre, un pays fermé, un pays cloîtré, qui reçoit moins de 500 visiteurs par an et qui, comparés aux 75 millions de visiteurs de France ne représentent peut-être qu’une gouttelette dans un lac collinaire du beau jura français.

    Ma journée est sauvée. J’avais enfin là, face à moi, sur une feuille, le nom, l’adresse et le téléphone d’une dame à Bissau que je pouvais directement contacter par téléphone pour qu’elle m’aide à visiter son pays.

    Aussitôt dit aussitôt fait, la dame s’avère d’une gentillesse exemplaire et d’une rare hospitalité.

    Elle me dit tout simplement : « puisque vous venez de la part de la BAD , je serai à votre service ». La communication téléphonique est si mauvaise que nous fûmes interrompus plus de cinq fois. Elle tenait à connaître ma fonction au sein de cet organisme auquel je n’appartenais pas. Pour couper court je lui répondis que j’étais journaliste, certes, et que je comptais plusieurs amis auprès de cette banque. Elle commence par me donner le téléphone cellulaire de son cousin qui n’est autre que le consul général de la Guinée Bissau à Dakar, au Sénégal. Elle me demande enfin de la rappeler demain pour lui donner mon plan de vol entre le Cap Vert, la Sénégal et la Guinée Bissau. J’ai hélas mis trois jours pour mettre au point ce petit périple et lui communiquer mon heure d’arrivée en la priant de me réserver une chambre d’hôte faute de chambre d’hôtel (inexistant au pays !) et de m’envoyer, si cela était possible, un petit frère africain ou une cousine éloignée pour me recevoir à l’aéroport. Une bouteille à la mer.

    Le consul était si heureux de recevoir un ami de sa cousine, qu’il nous offrit un visa de courtesy à double entrée et gratuit. Les péripéties se suivent et ne se ressemblent pas. L’arrivée à Bissau est lunaire, voire martienne. Un petit coucou des années cinquante, reliquat de l’armée russe qui soutint la révolution du pays, maintient encore une navette quotidienne entre Dakar et Bissau. Sa sainteté le Pape a dû de son lointain Vatican bénir l’oiseau de fer pour qu’il ne crash pas aujourd’hui.

    Imaginez un tarmac de terre battue, une forêt aussi vierge que la plus vierge des vierges, une humidité à couper au couteau et une dizaine de badauds qui court derrière l’avion qui atterrit.   

    Ansumane grand, élégant et altier, son excellence, l’ancien ministre des affaires étrangères de Guinée Bissau nous attend au pied de notre jet avec une ardoise blanche portant trois lettres magiques B.A.D.  Face aux courbettes de la cour de l’aéroport, je compris que le personnage était de taille, mais ne comprenais surtout pas pourquoi il était là à nous attendre ! Je croyais comprendre, hélas, et ne voulais pas comprendre, mort de honte ou de confusion, mais les dés étaient jetés. Bouddha en a voulu ainsi et les Dieux de l’olympe nous ouvrent une arène vertigineuse, énigmatique mais accueillante.

    A la guerre comme à la guerre, jouons la paix avec son excellence et acceptons le titre que je vois venirMon 185pays visité promet d'être chargé d'aventures...caramba!

    - « Monsieur le conseiller du Président, permettez au représentant de votre banque de vous souhaiter la bienvenue en terre de Bissau ».

    - « Monsieur le Ministre, Monsieur le représentant de la BAD , permettez-moi de vous apporter le salut de Carthage, une terre de trois mille ans d’histoire et plus vieille encore, puisqu’elle donna son nom au continent qui nous réunit, l’Afrique. » 

    Impossible voyage devenu possible, qui par la grâce des Dieux reçoit une bénédiction nouvelle. La manne de l’Afrique équatoriale. De l’eau sous un soleil ardent. Une pluie torrentielle et bien chaude. Imaginez la seule route asphaltée du pays reliant l’aéroport à la capitale. Imaginez la joie de centaines d’enfants et adolescents qui peuvent enfin faire d’une pierre deux coups et même trois.

    Imaginez une horde de petits noirs aux visages illuminés par un bonheur subi, qui se payent un marathon, sur la seule route asphaltée du pays.

    La cause est noble et joyeuse. Par ce marathon, ces jeunes se paient le luxe d’éviter les nids de poules et d’éléphants, d’éviter les mines antipersonnelles, d’éviter la boue et les serpents, d’éviter les fourmis voraces et les bestioles sanguinaires et de prendre enfin une douche salvatrice. C’est que ces enfants, armés de quelques grammes de savon vert sont en train de se doucher gratuitement dans la plus grande salle de bain du pays. La route asphaltée. Mieux encore, ces enfants se paient une séance de sport à nulle autre pareille, et gardent au zénith un moral d’enfer qui les éloigne de la pauvreté, de la misère et de trente ans de guerre civile qui semblent enfin se terminer.

    Commence alors une véritable épopée ou Darius le Grand de sa perse lointaine, tout comme D’Artagnan de nos livres d’enfant, Alexandre le Grand de sa légendaire Macédoine, Ronbinson Crusöe de son archipel de Juan Fernandez où même hélas Don Quichotte de la Manche qui brasse du vent, sans même le toucher. Pétri de tous ces personnages légendaires et bien réels, j’affrontais une épique semaine où tout un pays décida qu’il recevait le « Conseiller du roi ».

    Tout cela n’est hélas, pas facile à gérer, comment contenter le ministre de l’économie sans déplaire à celui de la santé ? Comment accepter de déjeuner avec l’un et de prendre seulement un thé avec le second ? Comment laisser le temps au troisième, le ministre de l’agriculture d’organiser une séance de travail avec 20 collaborateurs et qui en plus tient à nous guider vers sa dernière œuvre, l’ébauche d’un pont et un peu plus loin, celle d’un quai qui recevra la cueillette d’une mer aussi fertile et poissonneuse que la partie archipel de la guinée Bissau.

    En quelques jours, notre guide et ami, devenu du reste Cigéviste aura réussi par sa diplomatie innée à contenter tous les ministres du gouvernement en leur présentant le « conseiller du roi ».

    j’ai eu beau expliquer que je n’avais aucun salaire de cette banque, que je n’étais pas rattaché à cette banque et que je n’étais qu’un ami à plusieurs responsables de cette banque, peine perdue le peuple de la Guinée a décidé qu’il recevait le conseiller  du roi.

    Mea culpa, mea maxi culpa, grande banque africaine, je le jure devant Dieu et tous ses prophètes et même devant le Messie ou Mehdi l’attendu, que j’ai défendu en mon âme et conscience la probité de votre entité et me suis juré d’être le nouvel ambassadeur de la Guinée Bissau auprès de mes innombrables amis de la planète.

  • Une nuit au Caucase

    Les Zoroastriens

     

     

    Bakou. (suite et fin). Nous assistons ce soir à un véritable concert de Mongham dans le cadre étrange de la montagne de Feu ! Nous sommes très loin de cet Azerbaïdjan qui se recherche à la sortie de la défunte URSS. Ce soir c’est table ouverte à la culture !

    Les poèmes sont du XVIe siècle, du temps du grand poète Mohamed Fizuli (1498-1558). Réfugié à Bagdad au sein d’une communauté azérie, il est le seul poète aux trois diwans : en perse, en arabe et en azéri. D’autres poèmes lyriques sont d’Elias Nezami (1120-1181). Son épopée romanesque  «Leyla et Madjnun» l’a fait passer à la postérité. La voix de ces magiciens emportée par la flamme millénaire caresse la lune qui nous semble soudain plus proche. Ce concert de musique classique fera de cette nuit un moment unique de la vie. LA nuit !

    Mais d’où vient ce feu sacré?

    L’explication est fort simple : dans cette région du Caucase, au bord de la mer Caspienne, le pétrole est à bout de champ et le pays en produit 50 millions de tonnes par an. Morts il y a des dizaines de milliers d’années, ils ont formé d’importances couches sédimentaires. La longue dégradation bactériologique des organismes aquatiques, animaux et végétaux, a engendré ce pétrole. La roche mère a englobé ces précieux hydrocarbures et c’est dans ses profondeurs que l’on ira extraire le pétrole et le gaz naturel. Mais ici, nul besoin d’exploitation car le gaz s’est imprégné dans un schiste bitumeux enfoui dans de larges couches d’argile. Cette roche étant à fleur de sol, la libération du gaz est pour ainsi dire automatique.

    Quant à la provenance du feu, elle est accidentelle : par une nuit d’hiver noire et sordide, Zeus et Jupiter se disputaient leurs empires grec et latin. Vulcain en arbitre des Cieux fit soudain éclater la foudre. Un million de volts suffirent largement à embraser ce gaz naissant. Il y a 6 000 ans, d’une étincelle de foudre est né ce feu éternel.

    Tout ce que je savais des Zoroastriens, je l’ai appris avec mon fils Zied, âgé de 12 ans, lors de notre voyage en Iran, en 1998.

    Le zoroastrisme s’y est implanté entre 224 et 642, époque sassanide durant laquelle Ardeshir, un anti-grec notoire, rétablit la langue des Achéménides ou Zoroastriens.

    Zoroastre (630-550 av. J.-C.), connu dans la Perse antique sous le nom de Zarathoustra, est issu d’une famille de chevaliers, les Spitama, à une époque précédant celle des rois achéménides.

    Il eut, jeune, des révélations d’Ahura Mazda, le « Seigneur Sage » et lutta durant des années contre les prêtres des cultes établis. Il condamna les rites orgiaques associés aux sacrifices traditionnels offerts aux Dieux mais voulut perpétuer la tradition du culte du feu.

    La profondeur intellectuelle de son système a eu une influence notable sur la pensée occidentale.

    Platon, Aristote et d’autres penseurs grecs ont manifesté un grand intérêt à l’égard de ses doctrines. Dans le Manuel de discipline trouvé parmi les rouleaux de la mer Morte, l’évolution de la démonologie (étude des démons), de l’angélologie (étude des anges) et de l’eschatologie (étude des fins dernières de l’home et du monde) judéo-chrétiennes porte l’empreinte de ses idées. Pour lui, sans réfuter l’existence des divinités traditionnelles du panthéon pers, seul Ahura Mazda est digne de vénération.

    Les principes fondamentaux du zoroastrisme reposent sur le culte de Ahura Mazda, le « Seigneur Sage » ou le « Maître du savoir » (credo monothéiste) et sur un dualisme éthique opposant Vérité (Asha) et Mensonge.

    Zoroastre attribue le bien aux émanations de Ahura Mazda - Spenta Mainyu (L’Esprit Saint, la force créatrice) et les six entités qui l’assistent : Bon Esprit, Vérité, Pouvoir, Dévotion, Santé et Vie – et le mal à Angra Mainyu ou l’Esprit diabolique et ses assistants.

    Les Gathas et le Haptanghaiti

    Zoroastre consacre les Gathas au culte de la Sagesse et ses émanations dont Asha.

    Le Haptanghaiti ou « Rituel des Sept Chapitres » se réserve au culte du dieu Ahura, protecteur de Asha et évoque des divinités de la nature (nuages, pluie et eaux) ou autres (dieu du Feu) que l’on peut rapprocher de celles des textes religieux indiens, les Rig-Veda, les ancêtres des Perses et les envahisseurs du Nord de l’Inde partageant la même origine.

    Le Yasna et le Videvdat

    Outre les Ghatas et les « Sept Chapitres », le grand texte de sacrifice rituel, le Yasna englobe un ensemble d’hymnes de facture plus tardive rendant hommage à diverses divinités dont Anahita la déesse des eaux et de la fertilité.

    Le Videvdat, la dernière partie de l’Avesta, rédigée après la conquête de la Perse par les Grecs, au Ive s. av. J.-C., réunit l’ensemble des prescriptions et des interdits de la loi relatifs à la vie quotidienne : celles, par exemple, concernant l’exposition des cadavres, la protection accordée aux chiens ou le massacre systématique des reptiles.

    C’est en Perse que s’est forgé l’âge d’or de cette doctrine.

    Darius 1er fut probablement le premier roi à adopter le zoroastrisme. Son règne et ceux de son fils Xerxès 1er et d’Artaxerxès 1er ensuite furent marqués par une synthèse des enseignements de Zoroastre et du polythéisme antique. La nouvelle dynastie des Sassanides (226-651 ap. J.-C.) l’institua religion d’Etat. La Perse s’islamisa à la suite de la conquête arabe au VIIe s., seules quelques communautés de Gabars ou guèbres (20 000 aujourd’hui) dans les régions montagneuses du Yezd et du Kem restent fidèles au zoroastrisme. De nombreux adeptes ont émigré vers l’Inde et vivent aujourd’hui dans la banlieue de Bombay, récitant la liturgie de l’Avista et conservant les feux sacrés.

    Adieu Bakou

    Les dernières notes de musique se meurent dans le crépitement du feu et les ondulations du silence imprègnent les hôtes encore hypnotisés par ces mélodies des siècles passés. Un verre de thé bien chaud et bien pers ranime les esprits et nous ramène à nouveau vers la civilisation de l’Azerbaïdjan.

    Ce grand peuple colonisé tantôt par les Perses, tantôt par les Russes, affronte aujourd’hui le conflit du Haut-Karabakh. C’est un autre Kosovo fabriqué de toutes pièces avec une enclave arménienne en territoire azéri. Tout comme en Tchétchénie, la Russie ne peut se passer des 50 millions de tonnes de pétrole produit annuellement par l’Azerbaïdjan. L’Arménie voisine est un peu le dindon de la farce en allant au feu pour récupérer le Haut-Karabakh.

    Et dire que cet Azerbaïdjan pourrait devenir un jour le « Koweït du Caucase » ! Mais que le chemin est long ! Et combien de mentalités sont à changer ! Quel serait le héros qui introduirait éthique, civisme et démocratie dans un pays où tout est prêt pour le décollage ? Avec un salaire moyen de 20 dollars américains par mois, il ne reste plus que les mille et une combines pour survivre.

    Las de ces réflexions, nous rejoignons notre gentleman ambassadeur pour reprendre nos véhicules et dire adieu aux Zoroastriens qui nous ont permis de vivre une nuit exceptionnelle.

    La route du retour nous semble différente. Du regard nous saluons ce paysage désertique sans trop savoir si nous sommes au XIIIe ou au XXIe siècle, si Zoroastre est encore là et si ce feu brûlera encore dans 6 000 ans. Dieu que la vie est étrange !

    Le voyage restera toujours le creuset de la magie, du rêve et de la réalité !

    R.T.

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  • LA MONTAGNE DE FEU

    Voyage à Bakou

     

      Bakou. (juillet 2000). Pourquoi débarque-t-on dans cette région du monde à l’heure de l’aube naissante ? Au cœur du Caucase, notre avion atterrit à Bakou à 4 h 15 du matin. Le temps d’acheter un visa et d’accomplir une dizaine de formalités nécessaires et incompréhensibles et nous voilà enfouis dans un taxi mettant le cap sur la capitale de l’Azerbaïdjan, guidés par les premières lueurs de l’aube. 

    Une vieille Lada jaune délavé des années soixante qui pétarade et avance à grand fracas nous dépose devant un hôtel en front de mer qui ressemble plutôt à un hôpital.

    Quel plaisir que de déposer enfin son sac de voyage dans cet hôtel vieux de 60 ans, désuet et croulant, qui garde pourtant presque intactes les dorures de l’ancienne URSS. Le Inn Tourist Hotel de Bakou vit de ses souvenirs et n’évolue guère.

    Une heure de ballade à pied au bord de la mer Caspienne, à 6 h 30 du matin, à travers les beaux et désertiques jardins de Bakou est une aventure sans pareille.


    Partons ce soir à la rencontre d’un prophète bien curieux : Zoroastre

    En fin de journée, S.E. Jean Pierre Guinhut, l’Ambassadeur de France à Bakou, nous attend à la tête d’un convoi de trois véhicules ; le premier est une rutilante limousine noire, le second un grand camion blanc et le troisième une vieille estafette grise. Nous quittons la vieille ville, ses remparts, la tour de la Jeune Fille et ses autres monuments imposants au bout de trente minutes.

    Seul le noir enveloppe notre route. Le paysage devient subitement désertique et la route se mue en une piste lancinante. Les premiers derricks de pétrole paraissent à l’horizon. Noirs et taciturnes. On se croirait dans un film des années quarante. Mais voilà que notre vitesse d’à peine 60 Km/h se réduit à 20.

    Il est là, gros, gras et imposant. Ce ZIL accapare toute la chaussée et ne peut être doublé dans une montée. Ce Zavot Imeni Lenina ou ZIL n’a rien perdu de son lustre d’antan et garde plus que jamais sa signification de « véhicule dédié à Lénine ». Sa couleur bleue océan en furie détonne dans la grisaille du paysage illuminée par une lune qui se fait toute ronde et coquette.

    Nous sommes bien dans une enclave de l’ancien empire de l’URSS qui gardera longtemps les aléas, les méfaits et les absurdités d’une théorie révolue.

    Ce que l’homme a pu faire au nom d’une idée ! Ce que l’homme a dû faire pour l’imposer ! Ce que l’homme a souffert de sa mise à effet !

    Au bout d’une heure de route, notre petit cortège s’arrête devant une bâtisse grise. L’Ambassadeur, gentleman occidental en pays perdu, survole du regard l’assemblée et nous communique sa frénésie et sa soif de culture. De la grosse camionnette surgissent trois Azéris au profil indien, tenant chacun jalousement un insolite instrument de musique. Du troisième véhicule surgissent les aides de camp de sa majesté pour mettre au point le programme de la soirée. Tout paraît normal jusque-là, ou presque.

    Mais soudain, en contournant ce bâtiment qui me rappelle l’architecture d’une enclave russe visitée au nord de Spitzberg ou Svalbard et de l’île Victoria, apparaît un spectacle qui me coupe le souffle.

     6 000 ans de feu

    Ce que nous voyons n’a pas changé depuis 6 000 ans. Imaginez, par une nuit de pleine lune, une cuvette de 40 mètres de long et de 10 mètres de large bordée de chaque côté de deux escaliers type aztèque. Imaginez dans son creux une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large qui brûle ainsi depuis 6 000 ans. Le plus irréductible des athées ne manquera pas d’inventer un Dieu ou une divinité devant ce feu qui brûle depuis 6 000 ans. La première heure est une heure de doute, d’interrogation, de magie, et même de transe. J’ai beau monter les marches de gauche, descendre celles de droite, toucher le feu et me brûler, je ne peux toujours croire que cette flamme brûle ainsi depuis 6 000 ans.

    La magie du voyage est un don du ciel. Mon 161e pays visité  en est une preuve de plus !

    Quelle chance de pouvoir admirer avant le Grand Voyage tant de merveilles et tant de curiosités sur cette Terre ; une microscopique planète qui n’est que le fruit d’un accident jeune de quatre milliards d’années. Une étoile parmi des milliards d’étoiles dans une galaxie au sein de millions de galaxies. Devant cette époustouflante immensité, l’homme dont l’ancêtre Ramidus l’Ethiopien n’a que 4,2 millions d’années a dû souvent se poser la même question : que faire pour s’accrocher à la vie et la doter d’un certain sens ?

    Sans vouloir entrer dans aucune théologie ni croyance, je pense que cet animal pensant dit homme n’a eu de cesse de par sa faiblesse de se chercher un bâton de secours, une raison d’être.  

    La planète nous révèle que bien des peuples, en passant des Incas du Pérou aux Aztèques du Mexique, des Moai de Rapa Nui (île de Pâques) aux Egyptiens, ont dû se créer une divinité, un « bâton de secours ». Les astres et les forces de la nature furent ainsi nos premières croyances. Si celles-ci peuvent aider l’homme à se donner une raison d’être et à pouvoir faire la part du son de l’ivraie, alors il est plus simple de croire : « Croyons, enfants de la planète ! ».

    Il n’est donc pas étonnant qu’un soir, un Azéri d’origine indo-européenne se soit prostré devant ce feu millénaire et ait enfanté le zoroastrisme.

    Le temps de digérer sur une marche d’escalier toutes ces envolées lyriques et mystiques que se dresse devant moi un incroyable orchestre composé de trois personnages qui en paraissent vingt. Le premier, à la fine moustache noire, tient en main une kamanja, un curieux violoncelle reposant sur une sorte de chevalet de 10 centimètres de long qui le fait pivoter sur le genou du musicien. L’archet reste horizontal dans ses va-et-vient et de la rotation de la kamanja naît la musique. Le second manie un tambourin et le troisième un rebab, instrument à trois cordes frottées, dont la table d’harmonie est en peau.

    Une flamme de 20 mètres de long et de 2 mètres de large brûle ainsi à Bakou depuis 6 000 ans ! Mais d’où vient-elle donc ?

               (@suivre : Les Zoroastriens)

  • Fin de détention américaine

    LE SILENCE DE MINUIT


    (5e et dernière escale à Miami).  Il n’est que minuit. Que faire dans cette cellule américaine N° 609 qui n’a ni la fraîcheur de Rio, ni l’insolite de Brasilia et ni le danger de Santa Cruz, ici au cœur Miami, en Floride, à quelques encablures des plages heureuses, des restaurants bondés et des boites en fête ?

    Anis, Monsieur 100 000 volts, ne tient plus en cage. Il zappe et trouve une chaîne de télé payante avec un nouveau film de Michael Douglas pour 9,90 $. Au téléphone, la standardiste de « l’hôtel-prison » nous rassure : même nous les résidents du 6e étage pouvons louer ce film, en venant payer à la réception de l’établissement les 9,90$ et un cautionnement de 100 $. Commence un interminable marchandage avec nos cerbères de nuit. J’en viens à regretter l’absence de mon second passeport avec visa US. Solidaire de mon fils, je voulais certes partager son sort. Au bout de 20 longues minutes, notre gardien obtient par téléphone l’autorisation de m’accompagner à la réception de l’hôtel, laissant Anis en otage chez son collègue. Un délice ! Une joie ! Un régal ! Quel beau film et quels acteurs !

    A deux heures du matin il faut tout recommencer pour obtenir une nouvelle dérogation afin d’aller récupérer notre cautionnement de 100$.

    La fatigue nous submerge après la détente du film. La tension nerveuse nous quitte et Morphée nous accueille à bras ouverts. Pour très peu de temps. Soudain, le bruit assourdissant d’une porte qui s’ouvre, une torche électrique nous aveugle et une voix rauque hurle :

      "What’s your names ?"  Il fallait s’assurer qu’aucun drap, transformé en corde, ne pende du 6e étage vers la liberté au cœur de Miami. Sans visa !

    Toutes les demi-heures, le même manège se répète. L’homme, curieusement, s’adapte à tout. Un darwinisme rapide ou une simple acceptation des faits. La torche électrique devient petit à petit lampion de bal et la voix celle d’un soprano milanais…

    7 heures du matin. Un café fumant et deux croissants dans un cornet gris, genre « boggie dog ». Mais c’est si bon…. Une longue, très longue douche et la chaîne CNN jusqu’à midi. Heure de quitter cette cellule avec oh ! Surprise deux jeunes charmantes escortes cubaines. Et de nouveau des kilomètres de couloirs, les formalités d’immigration et l’enregistrement sur le vol de la TACA. Quant tout est fini, c’est l’ultime stupeur. Nous sommes les premiers passagers à monter à bord de ce superbe Airbus flambant neuf. Nos accompagnatrices sourires aux lèvres remettent nos passeports et documents de voyage au commandant de bord en lui précisant qu’il ne devait nous les remettre qu’à notre arrivée !

    Les hôtesses rivalisent de gentillesse avec les sans-papiers et leur champagne libère des milliers de bulles joyeuses et libres !

    Adieu l’Amérique ! Que Dieu pardonne à Air Désolé (qui le sera peut-être un jour) ces 24 heures de détention à Miami !

    Les voyages forment la jeunesse, dit-on….


    © R.T.