Go Go Go!
Tantôt garce, tantôt maîtresse, tantôt reine et souvent souveraine, la Destinée , notre destinée, guide notre vie comme bon lui semble ! Pas tout à fait !
Souvent, à la croisée des chemins, entre deux feux, deux routes et deux voies, s’improvise en un très court laps de temps, un troisième chemin ! Notre chemin !
J’étais un peu plus haut que quatre pommes. Du haut de mes 22 ans, collé au hublot de mon petit avion, je découvrais une terre familière mais qui me semblait étrangère par rapport aux vertes campagnes et collines que je venais de quitter, après neuf semestres d’études à Cologne!
Mélancolique et heureux. Triste et confiant. Je ne savais ni me comprendre ni me rassurer ! Pourtant, je devais être l’homme le plus heureux du monde ! Mon père, cet homme à qui je dois tant et tout, a accepté tous mes caprices et financé sans rechigner des études qui lui paraissaient rébarbatives !
Plus l’avion approchait de Tunis, plus mon angoisse grandissait ! C’est que Petit Voyageur que je suis, je ne pouvais me résoudre à entrer si vite dans la vie active et endosser mon habit d’Adulte ! Comment oublier et faire déjà une croix sur mes 44 000 kilomètres d’autostop en Amérique latine l’été passé et mon autre premier long stop à 15 ans et demi à peine: Marseille/ Kiruna( au nord de la Suède ) et retour, et accepter si vite de devenir aujourd’hui Adulte ?
Dans mon fort intérieur j’avais préparé un plan de bataille que j’allais présenter ce soir même à mon père ! Mon maître ! Mon ami ! Mon Dieu sur Terre !
Mon plan se résumait à trois mots : armé d’un diplôme allemand en « Volkswirtschatslehre und Politischwissenschaft» (genre Sciences Po) de l’Université de Cologne, j’avais pris cheville et lié amitié avec trois quotidiens, à Tunis, en France et en Suisse ! Parlant déjà neuf langues, j’ai pu vadrouiller dans plus d’un coin risqué et interdit de la planète et ces journaux achetaient la pige « du fou qui vient de loin » ! J’avais souvent la Une et toujours la page magazine pour un Grand Reportage ! Bref, je me voyais déjà reporter accompli et oubliais sûrement la célèbre chanson de Jean Gabin (je sais, je sais, je sais) ! Donc, Tunis n’allait être qu’une escale et le monde m’attendait… pensais-je à voix si basse que le hurlement du silence vibra l’avion !
Il est là, ce petit aéroport de poche de « Tunis El Aouina ». Ce n’est plus le majestueux aéroport de Frankfurt mais un sympathique et familial aérogare qui permet aux passagers de quitter directement la machine sur le tarmac et d’y retrouver déjà de la famille ! C’était il y a 1000 ans ?
Une fois les formalités de douane et de police passées, mon père ayant sûrement déjà tout lu dans mon regard, lui qui me connaissait mille fois mieux que moi-même, me prit de côté et sorti de sa poche intérieure de veston une curieuse enveloppe !
Mon Dieu ! Pourquoi cette urgence ? Pourquoi cette lettre ? Il n’y a pas le feu au lac ! On n’est même pas encore rentré au 41 de la Rue Essadikia. Pourquoi cette enveloppe ?
Le voyageur apprend sans le vouloir et sans le savoir l’instinct de survie ! Tout se joue en quelques secondes et de la rapidité de notre réaction dépendra notre survie !
Très vite, je revois mes petits malheurs et bobos voyageurs : ce fou de Strasbourg à l’oreille coupée et saignante qui me prit en stop, tout comme ce drogué de Sydney au calibre 44 posé sur les genoux, ou encore ce drogué de Miami qui m’accompagnant à l’aéroport me gratifia d’une lame effilée qui arrêta sa course par une fausse excuse ou Spam (qui alors n’existait pas encore) et tant d’autres « aventurettes » qui épiçaient et donnaient un sens à ma vie de voyageur !
Mais, là, c’est Papa ! C’est mon père ! Pourquoi est-ce que je ressens ce même malaise de survie face à l’être que j’aime le plus au monde et auquel j’écris ou je te téléphone tous les jours que Dieu fait ! Depuis 9 semestres. Déjà !
Mon instinct ne se trompait pas !
Papa, qui était sobre dans le verbe et le geste, posa sa main gauche sur mon épaule droite et me tendit religieusement l’enveloppe blanche de l’autre main ! La sueur perlait de mon front et inondait mon cœur d’angoisse ! J’étais déjà mort et enterré et cachais ma panique instinctive !
Les secondes passent et se conjuguent en longues heures d’attente. En siècles !
Sans piper mot, je prend l’enveloppe, l’ouvre précipitamment et en sort un curieux billet d’avion arborant ce vol mythique devenu mystique : SR 242, le vol 242 de la défunte Swissair qui relie Tunis à Genève!
Ma bouche est sèche ! Mon gosier est sec ! Mon regard est embrouillé !
Si mon père décide de me remettre ce billet d’avion, là dans l’aéroport même, vingt minutes à peine après mon retour au bercail, c’est qu’il y a urgence quelque part !
Je repensais au 2e billet d’avion que me refilait mon père à chaque départ en me disant : « si t’avais un soir une rage de dent… » ! Mais là, je ne partais pas je rentrais !
- Papa, pourquoi ?
- Mon fils, écoutes-moi bien, tant qu’on est encore un peu loin de ta Maman et de tes jeunes frères…
Sa réponse, là de suite, dans cet aéroport, non seulement balisa le chemin de ma nouvelle vie mais changea mon destin !
( @suivre : Destin 2)